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TRAVAIL ET PLAISIR
pose au moins une minorité qui aime le travail et soit assez féconde en
inventions pour satisfaire aux nécessités de tous par un machinisme
de plus en plus perfectionné. La limitation indéfinie du travail n est
paradoxale que dans la même mesure que la perfectibilité indéfinie des
machines. On admet qu’à la diminution de la durée du travail corres¬
pond une augmentation quantitative et qualitative de la production1 2;
mais cette corrélation n’est pas absolue. La réglementation de la durée
du travail peut être justifiée par la nécessité d’adapter la résistance
moyenne des ouvriers à une machinerie industrielle déterminée ou à
des*conditions particulières d’hygiène ; mais la résistance à la fatigue
est une propriété individuelle dont l’individu doit garder le profit et
que l’on ne peut pas réglementer. La résistance physiologique varie
non seulement avec la constitution de l’individu, avec la nature du tra¬
vail: mais aussi avec les conditions dans lesquelles on l’exécute. On doit
reconnaître l’impossibilité de fixer par une législation internationale
une durée uniforme de la journée de travail, même dans une indus¬
trie spéciale
Mais le travail n’est pas pour tous un mal contre lequel il faut se pro¬
téger.
Tolstoï proclame que le travail n'est pas la douleur mais la joie de la
vie3, parce que le plaisir de la vio c est de servir les autres. Pour lui I«'
travail est non seulemenl le devoir de 1 homme, mais le remède moral
par excellence ; son idéal du travail, c est le travail physique, h* travail
du pain du Moujik Bondareff, qui doit faire disparaître la dure inégalité
cl couper les ailes au luxe et à la convoitise.
Il est douteux que la loi générale du travail manuel el en particulier
du travail du pain soit la meilleure manière de combattre l’inégalité et
surtout d’améliorer le sort commun. La loi de la division du travail
n’est pas une invention des philosophes ; c'est une nécessité de révolu¬
tion biologique qu'on trouve dans le travail physiologique (Milne-
Ed wards) avant de la constater dans la société.
Darwin a fait remarquer que la concurrence pour la vie est d’autant
plus vive entre deux organismes qu’ils sont plus analogues; c’est une
condition de division du travail que celte concurrence. La division du
travail est une condition de progrès; l'activité ne se simplifie pas en sc
1. F. et M. Pelloctieh, La vie ouvrière en France, p. il; 1900.
2. A. Liesse, Le travail aux points de vue scientifique, industriel et social, p. 208 ;
1899. _J. Sarraute, La limitation légale delà durée du travail en Allemagne; 1900.
3. L. Tolstoï, Le travail et la théorie de Bondareff.