DIGNITE DU TRAVAIL MANUEL ET DU TRAVAIL INTELLECTUEL
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cratique, du spiritualisme chrétien et du capitalisme moderne, le travail
manuel est maintenant pour un grand nombre l’objet du mépris. Par
une réaction récente les ouvriers réclament pour eux seuls le titre de
travailleurs et refuseraient volontiers toute valeur au travail intellectuel.
Les économistes qui cherchent à prouver que l’évolution sociale a pour
bul l’économie de l’effort, que l'homme ne perfectionne son outillage que
dans le but de diminuer le travail humain, que dans l’histoire des
inventions on ne voit que la tendance perpétuelle de l’homme à recher¬
cher les moyens d’exercer un moindre effort pour obtenir des utilités
égales ou supérieures, contribuent à montrer que le travail n’est qu’une
dure nécessité1.
On doit convenir que si le but est de diminuer l’effort, on ne l’atteint
guère. La machine n’est pas le rédempteur promis, elle ne supprime pas
le travail ; elle augmente la production et la valeur économique de
l’homme. L’effort reste la condition du progrès, c’est-à-dire de la vie,
et la nécessité du travail ne peut que s’imposer plus urgente. « Jamais,
à aucune époque, on ne travaillaplus que de nos jours ; comme nous tra¬
vaillons plus que nos pères, nos enfants travailleront plus que nous, dit
Proudhon 2. » A mesure qu’il se maehinise, le travail devient de plus en
plus ennuyeux 3 5. Le développement intellectuel qui entraîne le dévelop¬
pement de la prévoyance entraîne aussi la nécessité croissante du travail.
Le sauvage seul reste paresseux. La comparaison des peuples actifs et des
peuples oisifs montre bien la valeur du travail au point de vue de l’évo¬
lution mentale. Ceux qui n’exercent pas leurs forces n’ont aucune con¬
naissance de leur pouvoir ; ils se croient incapables d’une foule d’acti¬
vités dont l’expérience leur montrerait la possibilité.
Le socialisme qui a pour idéal la réduction progressive de la journée de
travail à huit heures, à six heures (Vaillant), à quatre heures (lfyndman)
à trois heures (Lafargue) v, à deux heures (Bcinsdorf), à une heure et
demie (Joire), semble nous montrer le travail comme le plus grand des
maux. Limiter les heures de travail, c’est, dans l’esprit des réformateurs,
réserver une part de la vie à l’éducation personnelle ; Campanella l’avait
déjà compris ainsi en ne faisant travailler les laborieux que quatre heures
par jour3. Mais la possibilité du loisir pour le plus grand nombre sup-
1. Yves Gcvot, L'économie cle l'effort. p. 32, 33, 38, 129; 1896.
2. P. J. Proudhon, Amour et mariage. p. 135 ; 1876.
3. G. Tarde, Le rôle social de la joie, Revue bleue, 4e série, t. XIX, 1903, p. 35.
4. Paul Lafargue, Pamphlets socialistes, 1900 (Le droit à la paresse), p. 28.
5. Campanella, La cité cia soleil, idée d'une république philosophique {Œuvres,
trad. Louise Collet), p. 1891 ; 1841.