Voilà six vers qui se suivent et se terminent tous par des rimes
masculines. Bien plus, ce qui est autrement grave, dans la poésie
assonante la rime féminine rime avec la masculine.
Ces poètes ne sentaient pas la sonorité de Ve muet, pas plus
que nos paysans, comme nous le verrons plus loin, ne la sentent
aujourd’hui. C’est pour cela qu’ils ne le comptent pas non plus
à l’hémistiche. Cependant l’habitude de faire rimer un mot mas¬
culin avec un féminin disparaît vite. On acquiert la sensation de
la valeur rythmique de Ve muet, mais non encore de sa fonction.
Voici cette fonction. On doit faire se succéder deux rimes
masculines, puis deux féminines, puis deux masculines, sans
pouvoir jamais changer cet ordre; ou bien faire alterner en
faisant se succéder un vers en rime A masculin, puis un autre
en rime B féminin, puis un troisième vers en rime A masculin,
enfin un quatrième vers en rime B féminin. Nous ne décrivons
pas ce procédé qui esttrop connu,nous voulons seulement le situer.
Quel est son but ? Il ne peut en avoir un esthétique, dans l’in¬
tention de produire tel effet poétique, car il est toujours le même,
quelque soit le sujet.
Son effet rythmique est de procurer une alternance entre le
rythme asceîidant et le rythme descendant, ce qui donne une
oscillation des plus agréables à l’oreille. Le rythme naturel du
langage français est ascendant, iambique, la syllabe accentuée
se trouvant à la fin des mots, et Ve muet qui suit se prononçant
à peine dans le langage ordinaire ; comme toute ascension,
celle-ci ne laisse pas de devenir pénible à la longue ; si le vers
pouvait finir en pente, en pente très douce, il y aurait là, au point
de vue sensationnel, un délassement, non point le repos entier et
profond créé par le silence qui suit le vers, mais le repos
conscient. Tous les rythmes ont obtenu ce résultat par les syl¬
labes atones; en Italien même, cette descente est à plusieurs
degrés; dans le vers tronco, finissant sur une syllabe accentuée,
il n’y a point d’atones à suivre; dans le piano il y en a une,
comme dans la rime féminine française ; dans le sdrucciolo, il
y en a deux; ces syllabes surnuméraires ne comptent pas pour
le nombre de syllabes, mais on ne les en entend pas moins ; le
français ne peut obtenir ce résultat qu’avec Ve muet. Mais il
l’obtient plus complet, parce qu’il y a dans cette langue beau-