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Les patois ont la naïveté du vieux français, ils offrent une foule
de nuances et présentent contre les doublets d’origine savante
des doublets de langage populaire qui remplacent ceux qui ont
souvent disparu du langage normal.
L’argot a moins de puissance. Il est plus souvent grossier, et
c’est plutôt une dégénérence qu’une restauration du langage.
Cependant il peut fournir des termes énergiques.
Le langage, et surtout le langage poétique, se retrempe dans
ces éléments populaires comme dans sa source; il se défend
ainsi contre les entreprises du langage artificiel et savant.
Une dernière source de néologisme est celle qui dérive des
langues étrangères. L’invasion des mots étrangers dans la prose
meme, est très grande en français. On ne dit plus le chez soi,
mais le home, la collation, mais le lunch; la poésie a été envahie
à son tour : le souvenir est devenu la remembrance.
Ce néologisme est moins naturel ; la vie internationale n’est
pas encore assez intense pour avoir vulgarisé ces mots en
dehors de l’effort des littérateurs ; c’est tout au plus un souvenir
de voyage. Mais il tendra à grandir avec les relations réelles de
peuple à peuple.
Le néologisme, sous les différentes formes que nous venons
d’observer, est légitime, il est conforme à la nature de la poésie,
mais à trois conditions : 1° celle de ne pas perdre pied, c’est-à-dire
de ne pas être inintelligible à un grand nombre de personnes ;
2° celle de ne pas parcourir d'un seul coup plusieurs degrés, nous
en avons donné un exemple; 3° celle enfin, la plus essentielle,
de ne pas créer un mot nouveau, lorsque la nuance est suffisam¬
ment exprimée par une expression normale ; à ce titre, nous ne
comprenons pas la concurrence de ces deux mots : remembrance
et souvenir.
Voilà pour la partie lexiologique du langage poétique; exami¬
nons sa partie grammaticale. C’est ici surtout que se réalisent
les qualités que nous avons exigées : la clarté, la simplicité, le
naturel, le mouvement.
Le système classique avait créé à la poétique une grammaire
particulière presque sur un seul point, celui des inversions, et
c’est précisément celui où l’écart loin de la grammaire normale
est faux et dangereux. En effet, l’inversion ne nous est plus
naturelle ; elle est contraire à l’évolution de la langue française.