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LA SENSIBILITÉ MUSICALE
2. Description de la matière musicale
Suivant toutes les traditions un ouvrage sur l’esthétique
des sons devrait débuter par une définition de la musique.
Le procédé, commun aux philosophes et aux prestidi¬
gitateurs, consiste à introduire préalablement, sans que le
public s en doute, ou bien dans le chapeau le lapin qu’on y
dévoilera par la suite, ou bien dans les prémisses du raisonne¬
ment les assertions qu’on fera apparaître dans la conclusion ;
les philosophes même réussissent mieux le tour que les
illusionnistes, et souvent à ce point qu’ils y sont pris eux-
mêmes.
Pour ne pas encourir pareil reproche, mieux vaut nous
en tenir à une description de notre objet.
Cette description nous révèle, dans le domaine de l’éten¬
due, une courbe comportant une dimension temporelle,
une dimension spatiale ; dans le domaine de la conscience
un certain nombre de qualités, que nous baptisons acuité,
timbre, rythme, harmonie, etc... Mais un examen plus
approfondi montre que dans certains cas quelques-unes
de ces qualités peuvent, ou bien ne pas exister, ou bien
n’être pas remarquées ; ce dépouillement progressif conduit,
non pas à un type simple de forme musicale — ce qui serait
trop commode — mais à deux types qui sont, sinon simples,
tout au moins irréductibles l’un et l’autre.
Si nous les personnifions dans des tableaux auxquels
il est difficile de ne pas donner un caractère plus ou moins
primitif et champêtre, nous trouvons d’un côté un pâtre
qui chante une mélopée monotone, dépourvue de tout
rythme, et pouvant même parfois se ramener à une note
unique variée de temps en temps par des ornements,
de l’autre un enfant qui, armé d’un caillou, frappe sur une
calebasse de manière à en tirer des bruits non musicaux
distribués selon un certain ordre.