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LA SENSIBILITÉ MUSICALE
après plus ou moins de détours, elle rencontre le réel.
Vus sous cet aspect les rôles respectifs de la musique pure
et de la musique appliquée, dans l’œuvre de Bach, par
exemple, se précisent, et l’on conçoit combien il serait vain
de les envisager indépendamment l’une de l’autre. L'art,
pur est une efflorescence, utile certes à la vie de l’organisme
artistique, qui par elle s’oriente vers la plus complète réa¬
lisation dç ses possibilités. Mais cet organisme est person¬
nifié par l’art appliqué, tenant par ses racines à toutes les
réalités vivantes et sociales de l’être et du groupe ; c'est
Fart appliqué qui perpétue l’espèce, l’art autonome ne fait
qu’en donner les manifestations les plus dégagées de tout
élément étranger apparent. S’il pousse trop loin le bova-
rysme, s’il se croit en soi-même une raison d’être, s’il pré¬
tend couper les derniers liens qui le retiennent, il coupe
aussi les derniers canaux qui l’alimentent et, libre enfin
de s’organiser à sa guise, ne trouve plus à organiser que le
néant.
Toutes les grandes périodes artistiques nous montrent
à la fois la recherche des solutions artistiques considérées
en elles-mêmes, et la subordination de l’art à un grand objet
général, la glorification de la Cité, de l’Eglise, du Prince.
Peut-être la musique autonome a-t-elle été, en un sens, la
glorification de l’individu, peut-être faut-il y chercher
l’influence non d’un certain état social, mais d’une certaine
évolution morale. De toute manière son avenir, et par suite
sa valeur, — car à notre époque qui ose parler d’une valeur
dans le présent ? — dépendent de ce que donnera cette
évolution.