CONCLUSIONS
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à l’apparence du travail mental plutôt qu’à la réalité.
Le travail d’invention artistique (et ceci s’applique d’ail¬
leurs à beaucoup d’autres travaux inventifs) est une
recherche d’adéquation et doit donc se poursuivre parallè¬
lement par entente (ou par « tractation ») entre deux ou plu¬
sieurs centres différents (1). Mais les activités de ces centres
ne se traduisent pas de la meme manière. Le malaxage de
la matière, la recherche des formes est une occupation
bruyante qui se pousse au premier plan de la conscience
claire ; elle occupe dans l’élaboration artistique la place
qu’occupent dans la réflexion courante, ces rengaines,
ces redites souvent fatigantes (« Où en étions-nous ? »_
« Qu’est-ce que nous disions ? » etc.), avec lesquelles le lan¬
gage intérieur occupe le tapis pendant que le vrai travail
se fait à l’arrière-plan, dans le domaine des schèmes (2).
Le sentiment de ce travail intérieur, c’est l’état d’âme
musical dont parle Schiller ; on conçoit très bien qu’il
échappe à un poète uniquement préoccupé d’ajustages
verbaux, mais non uniquement occupé et sur ce point
nous avons des aveux très explicites de M. Paul Valéry
en personne (3).
La poésie, d’ailleurs, est-elle tellement éloignée à ce point
de vue des autres formes de langage ? Par une erreur ana¬
logue à celle de Riemann, on a voulu distinguer la poésie
de l’éloquence en affirmant que le rôle de cette dernière
était de présenter des idées selon un ordre logique. Si l’élo¬
quence a d’elle-même une connaissance sincère, elle doit se
(1) Cf. Paul Claudel. « Quoi de plus nécessaire à entretenir que cette con¬
férence continuelle entre la présence et l’idée, sans qu’on sache ce qui est
véritablement antérieur. » (Nouvelle Revue Française, ier juin 1926, p. 641.)
(2) Les indications fournies par Henri Poincaré quant aux conditions pro¬
fondes dans lesquelles s’opérait son travail de recherches mathématiques sont
bien connues. (Cf. Science et Méthode.)
(3) Par le même jeu inconnu et impossible à prévoir des retours de la pensée,
il est arrivé que l’image solennelle et ardente du cimetière de Cette, ou bien
l’impression calme, docte, mélancolique que je trouvais jadis dans le jardin bota¬
nique de Montpellier se sont représentées à moi et se sont faites vers et pi ose. »
(Lettre au Petit Méridional, citée par les Nouvelles littéraires du 5 février 1926.)
LANDRY
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