LA MUSIQUE AUTONOME
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La musique décorative se présente sous deux aspects
différents, suivant qu’elle est préexpressive, c’est-à-dire
étrangère à toute idée d’expression ou de représentation,
ou post-expressive, c’est-à-dire composée de formes qui ont
possédé une valeur expressive spéciale, mais qui l’ont
perdue à l’usage ou lors de la dissociation (i).
La musique autonome est en germe dans le parti, général
au xvie siècle, d’écrire indifféremment pour la voix ou les
instruments, mais elle ne se réalise pas en raison sans doute
de l’insuffisante exploration des ressources instrumentales.
Au cours du xvue siècle et même au début du xvme
la musique demeure donc une activité nullement secondaire,
ni même subordonnée, car elle s’étend sur nombre de
domaines, jouit d’un haut prestige et provoque des sensa¬
tions profondes (2), mais conditionnée par l’exercice d’une
autre activité ou pa* l’expression de sentiments formulés.
Le centre de gravité, dans l’œuvre de J.-S. Bach, ce sont
les Passions, les messes, les cantates, les œuvres d’orgue
liturgiques, de même que dans celle de Haendel les opéras
et les oratorios.
Cependant une évolution s’était trouvée amorcée, notam¬
ment dans les pays catholiques — ainsi que nous l’avons
déjà indiqué —• par les exigences du carême, qui avaient
habitué le public à entendre, amputés des activités inter¬
dites (chant profane, pantomime, danse), mais non des
associations secrètes (3), des formes musicales dérivées de
(1) V. s. p. 166.
(2) Cf. l’ouvrage de Naylor sur Shakespeare et la Musique et notre étude sur
le même sujet (Revue Musicale d’août 1926).
(3) « L’union, vieille de plus de deux siècles et demi déjà, de la musique ins¬
trumentale avec le drame chanté a donné naissance à une musique « illustra¬
tive » d’une si extraordinaire précision que les maîtres modernes purent entre¬
prendre la création d’œuvres instrumentales pures mettant en jeu des caractères
déterminés, voire des situations, des phénomènes psychologiques. » Riemann,
Dictionnaire s. v. Musique Instrumentale. A dire vrai, ceci est plus exact de
Mozart ou de Haydn que de Beethoven. La tâche de ce dernier a consisté
au contraire à éviter des allusions trop précises, à pénétrer davantage dans
Vinformulé. L’andante de Mozart est bien plus mélodie sans paroles que celui de
Beethoven.