A. GRÉGOIRE. — L'APPRENTISSAGE DE LA PAROLE 381
bourin, qu’on retire à l’enfant, etc. La syllabe pa elle-même, quoique
peu fréquente pendant ce douzième mois, alterne avec ta, quand
l’enfant joue avec sa cuiller.
Malgré les restrictions qui viennent d’être faites, il restait probable
que la syllabe ta servirait, dans un avenir peu éloigné, à rendre le
mot ça. Le voisinage phonétique des deux consonnes est trop grand
pour que l’identification ne se fasse pas. Mais le nouveau problème
est à son tour très compliqué. Pendant tout le douzième mois, je n’ai
noté aucun exemple proprement dit de la sifflante s. Mais elle ne
devait pas se faire attendre longtemps, s’il faut en juger par les
exercices curieux auxquels l’enfant se livrait en signe de plaisir : il
produisait une sifflante inspiratoire, puis expiratoire, d’articulation
interdentale, en jouant avec son soulier. On appelait cela pousser la
scie. Le jeu s’est renouvelé souvent. C’est un passe-temps phoné¬
tique, si l’on peutdire, qui pouvait d’ailleurs avorter, comme le fîtlV
labiale. Mais, cette fois, les acrobaties de l’enfant ont accéléré l’ac¬
quisition de Ys et son introduction parmi les phonèmes du langage
normal. Il restait à voir si ta, en passant par le stade sa, acquerrait
la valeur significative de ça et constituerait une sorte de démons¬
tratif, c’est-à-dire un mot de valeur générale et au fond très abstraite.
Aussi au vingtième mois, l’enfant a désigné par sèsèsa, ou parsèsa,
un objet qu’il désirait, —ce qu’on peut considérer comme une adapta¬
tion de la demande qu’on lui posait, quand il manifestait un désir :
« Est-ce cela ? » prononcé « Est-c(e) ça? », ou plus souvent : « Est-ce
que c’est ça ? » (sous-entendu : ce que tu désires). L’expression sèsa
se combine avec tètè (peut-être répétition de tiens !) ou tè ; cf. tèsa
sèsa; elle est même réduite à sa; elle sert à montrer un objet (au
seizième jour du mois), et est remplacée souvent par z.
De phonétique qu’il était, le problème est devenu psychologique
ou, si l’on veut s’exprimer autrement, grammatical.
IV
On a déjà fait allusion au jeu des influences phonétiques qu’on
peut noter dans le parler de l’enfant, fl s’agit de phénomèmes de
genres variés, occasionnés par la nature même des phonèmes. Les
conséquences peuvent être multiples. M. M. Grammont a appelé