G. GUILLAUME. — IMMANENCE ET TRANSCENDANCE DANS LE VERBE 369
parvient en la soumettant, comme on l’a faitpour le verbe allemand1,
à l’impulsion d’un auxiliaire qui lui fait franchir la borne du présent
et la porte dans le futur sans la déterminer : b udupit1 signifie comme
vypiju «je boirai », mais d’une manière plus générale, moins effec¬
tivement incidente.
La découverte de l’action anastatique’ de l’auxiliaire a eu
une grande influence sur le système de l'aspect, dont elle a
préparé le renouvellement, en lui offrant la possibilité d’un nou¬
veau départ.
1. La comparaison de l’allemand avec le russe en ce qui concerne l’emploi
de l’auxiliaire anastatique appelle quelques remarques relatives au degré
d'explicité des moyens qui servent à exprimer le temps.
De même qu’en russe, la morphologie du temps expliqué ne comprend en
allemand que le présent et l'imparfait, c’est-à-dire le temps immanent.
11 suit de là que le verbe allemand n’est conjugable qu'à ces deux temps et
que, pour exprimer le temps transcendant, il faut comme en russe avoir recours,
à des moyens supplétifs.
Mais ces moyens supplétifs ne sont pas les mêmes. Alors que le russe
demandé à l'idée de détermination d’exprimer le temps transcendant qu’elle
détient implicitement, l'allemand, renonçant à utiliser cette implication, a eu
recours pour l'expression du temps virtuel à tout un groupe d’auxiliaires.
L'auxiliaire werden est spécialisé dans l’expression directe du futur. D'autres
auxiliaires (können, wollen, sollen, dürfen, mögen, müssen) le complètent, expri¬
mant des nuances temporelles propres aux langues germaniques.
11 s'en est suivi que la notion de détermination n’a pas eu à jouer de rôle
temporel nettement caractérisé dans le système allemand et que le préverbe,
privé ainsi de celte partie de son action grammaticale, y est devenu de plus en
plus un simple moyen de composition (VIII).
Il est intéressant de remarquer que les choses auraient pu tourner sembla¬
blement en russe, si l'auxiliaire budu, chargé d'exprimer le futur indéterminé,
s’était adjoint comme en allemand tout un cortège d’auxiliaires exprimant le
temps conçu virtuellement. On eût vu alors l'expression du futur et, consécuti¬
vement, de l'aoriste au moyen du préverbe ou d’une dérivation phonétique céder
la place à cet ensemble de moyens nouveaux, en vertu du principe, d’application
universelle dans l’histoire du langage, que l'explicite tend à primer l'implicite.
Or, dans un ordre décroissant d’explicité, les moyens d’expression du temps se
rangent comme suit : 1° la notation morphologiqüe du temps au moyen de
flexions; 2e- la distinction d'aspect rendue par un auxiliaire; 3» la distinction
d'aspect rendue par un changement de l’état constitutif du verbe (préverbe,,
différenciation phonétique, etc.).
Cette primauté de l’explicite sur 1 implicite rend raison du'fait que, dans les:
langues à morphologie très développée, comme le latin ou le grec, la différente
capacité temporelle des deux aspects, exception faite de quelques cas particuliers-
d ultra-indétermination (v. VIH, en note), ne se marque pas: n’ayant aucun rôle-
supplétif à jouer, elle est comme inexistante. Le grec et le latin conjuguent à
tous les temps l'aspect indéterminé et l’aspect déterminé sans tenir compte de
l’aversion constitutive du premier pour les formes temporelles transcendantes
(futur et aoriste).
On commettrait, toutefois, une erreur si l’on induisait de là que la conséquence
JOURNAL'DE PSYCHOLOGIE. 1933. 24