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JOUÜNAL DE PSYCHOLOGIE
thodologique universaliste propre à la phonologie actuelle est une
de ses particularités les plus essentielles, malgré les objections de
certains linguistes l.
III
Conformément à son attitude méthodologique, la phonologie
actuelle consacre la plus grande attention à l’étude des« oppositions
dant appliquée aussi à la phonétique. Mais alors le tout (l’ensemble) dont on
part n’est pas le système des sons de la langue donnée, mais un mot ou une
phrase qu on envisage comme une unité articulatoire dont la structure doit
être étudiée. Cf. par exemple les ouvrages intéressants de M. Lagerkrantz sur
la phonétique du lappon. Il va sans dire qu’au fond cette méthode est aussi
individualiste et atomiste : les phrases et les mots prononcés par un individu
sont des phénomènes phoniques isolés, tout comme les sons. L’individualisme
méthodologique inséparable de la phonétique est une conséquence du fait que
la phonétique s’occupe non de la langue, mais de la parole.
\. M. N. van Wijk (dans De Nieuwe laalgids, XXVI, p. 63) prétend que la
notion de système phonologique existait déjà chez les linguistes du xix6 siècle,
chez les néogrammairiens (notamment chez K. Brugmann) et chez H. Schuchardt.
C’est là un malentendu fâcheux. 11 faut être aveugle et sourd pour ne pas
remarquer que les occlusives du grec forment trois séries parallèles (t, x, tt, —
o, y, ß, — 0, y, o) ou que les occlusives du sanskrit en forment quatre '{k, c, t,
t, p, — g, j, d, d, b, — kh, ch, th, th, ph, — gh, jh, dh, dh, bh), etc. Puisque
ni les néogrammairiens ni II. Schuchardt n'étaient sourds ou aveugles, ils n ont
pas manqué de remarquer et même de constater cette circonstance. Mais, entre
cette constatation et la notion du système phonologique dans le sens actuel do
ce terme, il y a non seulement une distance assez considérable, mais une diffé¬
rence fondamentale. Pour les néogrammairiens, le « système phonique »
n’était qu'une synthèse d'éléments isolés. Sa structure régulière était quelque
chose de fortuit, quelque chose d'inattendu et d'inexplicable, et surtout quelque
chose de gênant. On constatait ce fait, mais on tâchait de l’oublier le plus vite
possible, pour ne pas être obligé de l’étudier en lui-même et de rechercher ses
causes. Prendre le système comme point de départ,aller du système au phonème
isolé, c’est ce qu’un néogrammairien, redoutant avec superstition toute ombre
de téléôlogie, aurait envisagé, comme un manque de méthode. M. van Wijk cite
encore un passage du Lehrbuch der Phonetik de M. O. Jespersen qui, selon lui,
contiendrait aussi la constatation de l’existence de systèmes phonologiques
dans toutes les langues. Il suffit pourtant de lire jusqu à la fin le paragraphe 252
du livre de M. O. Jespersen, qui contient le passage cité (O. Jespersen, Lehrbuch
der Phonetik, p. 242 et suiv.), pour se persuader qu il ne s’y agit pas de
systèmes phonologiqu.es, mais de la « base articulatoire » (Artikulationsbasis.
Operationsbasis ou Mundlage), — notion purement phonétique, n’ayant aucun
rapport avec la phonologie. — Les deux seuls linguistes d’avant-guerre pour
lesquels le système phonologique n’était pas le produit plus ou moins fortuit,
inattendu (et par conséquent illégitime) d’une synthèse, mais le point de départ
de l'investigation et un des principes fondamentaux de la méthode, étaient
F. de Saussure et J. Baudouin de Courtenay. Les phonologues actuels, bien loin
de méconnaître l’origine de leurs idées et leurs prédécesseurs, comme le pré¬
tend M. van Wijk, ont toujours souligné les liens génétiques qui les rattachent
à ees deux grands maîtres. Pourtant, ehaque observateur impartial doit convenir
que la phonologie actuelle est plus pure d’éléments atomistes que ne 1 étaient
les systèmes de F. de Saussure et de J. Baudouin de Courtenay, nés à une
époque où l'atomisme et l’individualisme philosophiques dominaient la science
entière.