H. PONGS. — L’IMAGE POÉTIQUE ET L’INCONSCIENT 135
A côté de cette interprétation du rêve selon la catégorie maté¬
rielle, un élève de Freud, Silberer, en a tenté une autre d’après la
catégorie fonctionnelle\ dépassant largement Freud sur ce point.
En remontant aux fonctions de Tame dans l’humanité en général, à
sos actes, à ses tâches, à son activité intérieure telle qu’elle se tra¬
duit immédiatement dans les images du rêve, on pénètre plus pro¬
fondément dans la nature exceptionnelle et personnelle de tout
rêve et dans ce qui donne même à certains traits assez généraux une
signification vitale. Cette interprétation fonctionnelle, contrairement
à celle de Freud, admet que les images du rêve n’apportent pas des
symboles matériels tout prêts d’avance dans l’inconscient, mais
naissent d'images affectives qui expriment des états intérieurs et
sont créées individuellement en rêve. On ne peut interpréter comme
des symboles ces images affectives traduites en scènes de trêve,
car elles ont justement dépouillé tout caractère général et expriment
l’essence particulière de l’âme qui rêve. On les appellera plutôt
des métaphores de rêve. Freud a reconnu un rapport entre le rêve
et la qualité métaphorique du langage. Il parle de « l’illustration
des pensées abstraites »2 auxquelles l’usage courant du langage prête
des images. C’est ainsi que la métaphore : turmhoch über andern
stehen (dominer autrui de la hauteur d’une tour) se traduit en rêve
par limage de la personne vénérée placée sur une haute tour. Mais
Freud ne mentionne pas que l’âme ait le pouvoir de créer en rêve des
métaphores qui lui soient propres3. Cette faculté de traduire des
états intérieurs en images, en situations de rêve significatives indique
un type d’âme qui sait se placer hors de soi-même, transformer,
transmuer sa propre réalité intérieure. Ceci suggère une « force
d’intériorisation » des rêves, pour laquelle Silberer exige une expli¬
cation anagogique particulière qu’il oppose à l’explication analy¬
tique ; anagogique, de àvâvsiv, faire monter, c’est-à-dire croire à la
facultéque possède l'âme de s’élever vers de « hauts idéals ». En face
du mécanisme instinctif de Freud, qui subordonne la vie du rêve
surtout à l’inconscient refoulé, le rêve apparaît ici comme une créa-
•1. Probleme dev Mystik und ihre Symbolik (1914), p. 149 sq.
2. Werke, II, p. 336* VII, p. 120.
3. Psychoanal. Almanach, 1926, p. 58.