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JOURNAL DE PSYCHOLOGIE
souligne). Les successeurs de Humboldt, qui appartiennent à cette
sorte «regrettable » de penseurs, sont presque tous les linguistes
des xixe et xxe siècles, sauf quelques exceptions que Werner, cons¬
ciencieux et secourable à notre thèse, a bien voulu laisser s’exprimer.
Mais l’ancêtre le plus glorieux et le plus important de cette lignée
généalogique, c’est cette « logique archaïque » dont Ernst Hoffmann
a expliqué et décrit le « langage » l. Et les théoriciens *du langage
trouveraient, je crois, grand profit à réfléchir sans tarder à l’exis¬
tence même de cet ancêtre fabuleux Que penserait-on de la démons¬
tration indirecte par la thèse opposée, qui consisterait à dire que
cet ancêtre a dû exister, puisque son fantôme erre encore non seu¬
lement dans les langues de ces races non civilisées que l’on appelle
des primitifs, mais même parmi nous, sans qu’il soit cependant
besoin d’admettre qu’il ait été l’unique ancêtre du langage humain.
Pourquoi pas? D’abord parce qu’à lui seul et sans mélange il aurait
rendu les hommes absolument inaptes à la vie; en second lieu,
parce que les Pygmées de nos jours déçoivent l’attente selon laquelle
la « logique archaïque » devrait appartenir de préférence et en toute
pureté aux primitifs ; en troisième lieu, parce que nos propres enfants,
dès le premier âge, échappent, comme les primitifs, au cercle enchanté
que constitue la conception magique de l’univers, au moins aussi
souvent qu’ils s’y laissent retenir et, dans leurs jeux d’essai, s’exercen t
à appliquer au réel le traitement sain et vigoureux qui résulte d'un
point de vue « mécaniste » ; parce que, quatrièmement, le langage
humain, tel que nous le connaissons, après avoir sans doute hésité
longtemps au carrefour où l’écriteau de gauche portait : « logique
archaïque et représentation onomatopéique des choses », et l'écri¬
teau de droite : « langage symbolique », a choisi, comme jadis Her¬
cule, le chemin de droite. L’occasion de prendre une décision « ori¬
ginelle » ne se présente qu’une fois, tous les mythes le savent.
C’est la nature même du sujet qui nous pousse à donner à notre
thèse la forme d’un mythe. Le fond du problème est extrêmement
prosaïque : il s agit de dire, à l’aide d’arguments plausibles, si l’in¬
tuition délicate des hommes compétents, depuis Humboldt jusqu’à
nous, est justifiée quant au fond. Il faut aussi faire une place aux
1. Ernst Hoffmann, Die Sprache der archaischen Logik, Heidelberg, Abhand¬
ungen zur Philosovhie und ihrer Geschichte, 3, 1925.