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JOURNAL DE PSYCHOLOGIE
ce qui est une raison de plus pour qu’elles soient soumises à une
analyse critique.
4. — F. de Saussure ne croyait possible d’assurer une vraie rigueur
scientifique à la linguistique qu’en posant une définition initiale de
ce qui pourrait faire l’objet « à la fois intégral et concret de cette
science. Déductiviste, il constatait que « c’est le point de vue qui
crée l’objet »2 et enseignait que, pour qu’une linguistique organisée
et ordonnée fût possible, il fallait « se placer de prime abord sur le
terrain de la langue et la prendre pour norme de toutes les autres
manifestations du langage »3 qui, parce que multiforme, hétéroclite
et manquant d’homogénéité, est essentiellement inconnaissable. Ce
n’est qu’en découpant dans le tout confus du langage cette réalité
que F. de Saussure appelait la « langue » que l’on assure, selon lui,
un terrain solide à la linguistique, dont la « langue » est « l’unique
et véritable objet tout ce qui est du domaine de la « parole »
n’intéressant pas directement le linguiste.
Quel était, selon F. de Saussure, le rapport de la linguistique à la
psychologie? Il est assez important de préciser ce point, d’autant
plus que certaines tendances anti-psychologistes, actuellement assez
fortes, sont parfois rattachées directement à Saussure — ce que
l’état objectif des choses ne justifie pas pleinement.
Voici comment lui-même s’exprimait sur les rapports delà linguis¬
tique avec les disciplines psychologiques : « On peut concevoir,
écrivait-il, une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie
sociale ; elle formerait une partie de la psychologie sociale et par
die von allen Seiten als gemeinsamer Boden anerkannt sind. Dazu gehört die
Unterscheidung von Sprechen [parole] und Sprache [langue] sowie die von syn-
chronischer und diachronischer Sprachbetrachtung ». « Von allen [souligné par
l’auteur] Seiten » est peut-être un peu exagéré : en écrivant ainsi, M. Porzig
laisse de côté, par exemple, Schuchardt etM. Jespersen, sans parler de Baudouin
de Courtenay qui, il est vrai, ne s’est jamais exprimé d’une façon explicite sur
les idées de Saussure, mais auquel la notion de la « langue » au sens saussu-
rien de ce mot était totalement étrangère. Il est d'autre part incontestable que
l’opposition langue-parole posée par Saussure revient très fréquemment dans
les travaux des linguistes les plus différents : cette opposition fait partie du
« stock » des idées actuellement admises et même enracinées en linguistique.
Cette notion est presque « von allen Seiten anerkannt » et elle a déjà pénétré
partout où elle pouvait pénétrer.
1. Cours de linguistique générale, 20 édition, Paris, Payot, 1922, p. 23.
2. Loc. cit.
3. Loc. cil., p. 23.
4. Dernière phrase du cours.