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JOURNAL DE PSYCHOLOGIE
minimum et d’avoir rejeté une série d’observations et de citations
dans des notes pour ne pas alourdir notre marche.
Une doctrine longtemps dominante, et qui a encore des partisans,
considère la langue comme une émanation directe du tempérament
intellectuel, si I on peut ainsi parler, qui réalise ses tendances par
son moyen. La pensée naît avec l’expression, et celle-ci, faite à la
mesure de celle-là, reçoit naturellement l’empreinte de tous ses
caractères. La langue d’ailleurs n’est pas la chose de l’individu,
mais de la race, puisqu’elle est le bien commun de toils. S’il y a chez
les divers peuples des langues diverses, c’est que les mentalités
varient d’un peuple à l’autre, et si les langues évoluent et se trans¬
forment dans le temps, c’est que ces mentalités, en vertu de quelque
mystérieuse poussée de vie, évoluent elles-mêmes. C’est la doctrine
du parallélisme de la pensée et de la langue, dont Humboldt a été
le représentant le plus en vue et à laquelle les penseurs allemands
sont en général restés fidèles '.
Cette doctrine, de quelques réserves et considérations qu’on
l’enveloppe, a le grand inconvénient de faire entrer de plain-pied des
choses qui sont du domaine de la pensée dans des normes qui sont
à proprement parler celles des phénomènes physiologiques et bio¬
logiques 2.
D’après cette vue, l’idiome qu’un enfant apprend de ses parents
et qu’il possède en commun avec sa nation lui appartient, avec les
particularités de son type grammatical, au même titre que les parti¬
cularités physiques ou psychiques qui font de lui un représentant de
sa race. Le simple fait qu’un homme de race quelconque, un blanc,
un nègre, un Chinois, peut parler idiomatiquement n’importe quelle
langue, pourvu qu’il l’ait apprise assez tôt et assez longtemps, nous
1. Voir à ce sujet 0. Funke, Studien zur Geschichte der Sprachphilosophie,
Berne, 1928.
2. « Man kann nicht fragen, warum es nicht mehr oder andere Formen
gibt? es sind nun einmal nicht andere vorhanden, würde die naturgemässe
Antwort sein. Man kann aber nach dieser Ansicht, was in der geistigen und
körperlichen Natur lebt [c’est nous qui soulignons], als die Wirkung einer
zum Grunde liegenden, sich nach unbekannten Bedingungen entwickelnden
Kraft ansehen. » W. v. Humboldt, Geber die Verschiedenheit des menschlischen
Sprachbaues, vol. II, § 3.