66
l)li LA VOIX.
Cagniard-Latour conclut de ces premières expériences que si les lèvres vibrent
dans l’action de siffler , leurs vibrations ne sont pas une condition nécessaire pour
que le son se manifeste.
Passant de ces conclusions aux hypothèses, il croit pouvoir déduire de ses ob¬
servations une théorie du sifflet, qu’il résume dans les propositions suivantes (1) :
« 1° Selon toute apparence, le son ordinaire du sifflet vient de ce que l’air, en
passant par le conduit formé par les lèvres contractées, subit un frottement inter¬
mittent propre à engendrer un sou primitif qui acquiert de l’intensité, en commu¬
niquant ses vibrations à l’air contenu dans la bouche.
» 2“ La bouche elle-même, la trachée-artère et les poumons peuvent avoir une
certaine influence sur les vibrations du conduit siffleur.
» 3” Si les lèvres elles-mêmes ont une vibration , elle n’est pas une condition
nécessaire pour que les sons du sifflet sc produisent. »
Après avoir constaté que le son est produit, dans le sifflet, par le mouvement de
l’air sortant par l’orifice que forment les lèvres, Cagniard-Latour ne paraît pas avoir
reconnu quel est le véritable appareil renforçant et son influence, car il admet que
c’est la cavité de la bouche qui renforce le son, et même qu’il en est ainsi de la tra¬
chée-artère et des poumons.
Ce physicien rejette toute assimilation entre l’appareil siffleur et l’appareil des
oiseleurs, parce que, dit-il, dans ce dernier, les orifices sont percés dans des pa¬
rois minces, tandis que, pour siffler, il faut un conduit d’une certaine longueur
qui augmente d’autant plus le frottement qu’il est plus long , et modifie ainsi le
nombre des vibrations.
Ce qui a été dit précédemment des appeaux nous dispense de toute discussion
relative à la théorie que Cagniard-Latour donne de ces instruments dans lesquels il
suppose que l’air intérieur, restant immobile et se comportant comme un solide ,
forme un canal dans lequel l’air insufflé éprouve, de la part des parties solides et
gazeuses, un frottement qui le met en vibrations sonores.
Cette manière de voir, adoptée par J. Millier (2), nous semble contraire à tous
les principes admis jusqu’ici relativement aux propriétés des fluides et nous allons
essayer de le prouver.
11 faut de toute nécessité, pour qu’un corps devienne sonore, que ses molécules,
dérangées de leurs positions d’équilibre par une force extérieure, puissent y revenir
eu oscillant, sous l’influence des attractions qu’elles éprouvent de la part des mo¬
lécules voisines, ce qui suppose nécessairement, dans le corps vibrant, un certain
degré de cohésion qui existe à peine dans les liquides, et qu’on ne saurait admettre
dans les gaz.
Voulant démontrer que l’air peut, par le frottement, entrer en vibration à la ma¬
nière des solides, Cagniard-Latour rappelle qu’on fait sonner une vitre en la fric¬
tionnant avec le pouce mouillé. Cette comparaison manque de justesse : le carreau
frotté produit des harmoniques si l’on varie la vitesse et la place du frottement :
ce n’est pas le pouce qui est le corps sonore, ce corps mou sert seulement d’archet.
Si l’on peut admettre que, dans quelques circonstances, le corps frottant et le
corps frotté entrent eu vibration, assurément il n’est pas permis de supposer que
l’air, substance dépourvue de toute cohésion, jouisse de cette propriété. On ne pour¬
rait même pas citer un exemple où l’air se comporte réellement comme un archet et
(1) Mein, et rec. cit., p. 187.
(2) Manuel de physiol. Trail, franc., t. Il, 230.