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Le Forte-ExpressiJ a pour but d’augmenter encore la puissance expressive de l’Harmonium,
en reculant les limites de l’extrême douceur et de la force extrême entre lesquels l’intensité des sons
peut varier.
Dès les débuts de 1 Harmonium on avait pris le parti de couvrir, d’enfermer certains jeux, les
plus clairs principalement, dans une sorte de boîte fermée par un couvercle en façon de lame
de jalousie. Les sons étaient ainsi très adoucis, ne pouvant se répandre immédiatement dans l'air.
Au moyen d un registre, dont le bouton portait le nom de Forte, on pouvait à volonté soulever
le couvercle, ouvrir le passage direct aux ondes sonores, et les sons prenaient ainsi leur intensité
maximum. Le mécanisme était distribué en double, agissant séparément sur les Dessus et les Basses.
Un tel effet avait certainement sa valeur, il méritait d’être conservé ; il l’a été, mais considéra¬
blement embelli. Mais cet effet du registre de Forte,.que nous appelons aujourd'hui Forte Fixe, était
fixe aussi, c est-à-dire borné à ces deux nuances extrêmes de piano et de forte, établies une fois
pour toutes par la manœuvre du registre, jusqu’à nouvelle intervention : la jalousie était et restait
ou toute fermée ou toute ouverte.
Le Forte-Expressif inventé par Mustel (1854) rendit cet effet nuancé, progressif, susceptible de
passer par tous les degrés de renforcement ou de diminution ; et, de plus, il agit ainsi sans
1 intervention continuelle de l’exécutant, le mécanisme se réglant automatiquement sur la pression
de 1 air comprimé plus ou moins par la pédale, suivant et renforçant parallèlement les intentions de
1 artiste. Le registre spécial du Porte-Expressif étant tiré, un petit soufflet qui se gonfle ou se
dégonfle, selon que la pression du pied sur la pédale est forte ou légère, agit sur la jalousie, l’ouvre
ou la referme, mais graduellement, mesurant et nuançant le renforcement ou l’adoucissement du son
par toutes les positions intermédiaires et une ouverture plus ou moins grande.
Le résultat ajoute notablement à la puissance émotionnelle que possède un instrument déjà
si riche de son expression naturelle.
Une véritable inspiration d’artiste devait caractériser la Harpe Eolienne, jeu oscillant, très fin,
très expressif, très léger et d’un timbre mystique.
Avoir créé cette couleur nouvelle, si délicate et si distinguée, était une belle pensée ; l’avoir
disposée dans 1 instrument comme Mustel le fit, fut peut-être le trait qui marque le mieux l’éclosion
de son génie novateur. Il faut, pour saisir toute l’importance de ce que nous signalons se reporter
à 1 époque primitive où Mustel composa son premier instrument.
Jusqu aux environs de 1850, on comprenait les instruments à clavier comme devant toujours
produire, à l’instar du piano, des sons graves à gauche, des sons aigus à droite. On était accou¬
tumé, et on ne devinait point qu’il pût en être autrement, à entendre toujours les sons graves
sous la main gauche, les sons élevés sous la main droite.
Ceci était logique, habituel, indiscutable, et personne n’avait pensé à modifier cet état de choses.
C’est alors que A ictor Mustel osa, en dépit de l’esprit général qui présidait à cette époque,
placer dans les Basses ce jeu de caractère tout à fait aigu qu’il dénomma, Harpe Eolienne.