AZOTE.
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Les travaux de G. Ville peuvent donc se résumer en cette simple proposition : les
plantes assimilent l’azote gazeux; non seulement les expériences de laboratoire que
nous avons relatées le démontrent, mais, mieux encore, ce qui se passe dans la pratique
agricole parle dans le même sens : les plantes cultivées dans les champs tirent de l’air
un excédent d’azote. Ni la quantité d’ammoniaque contenue dans l’eau de pluie, en
supposant cette ammoniaque absorbée intégralement par les végélaux, ni les nitrates
formés au sein de l’atmosphère par les actions électriques ne contiennent une suffisante
quantité d’azote pour rendre compte des excédents considérables de cet élément qu on
trouve dans certaines récoltes. Cette opinion devait triompher plus tard, sous certaines
réserves; malheureusement, à cette époque, G. Ville n’était pas maître de ses expé¬
riences et ne connaissait pas les conditions exactes de cette fixation.
D’où viennent ces divergences entre les expériences de Bocssingault et celles de
G. Ville? surtout, pourquoi, dans ces dernières, ces gains énormes d’azote avec des
plantes appartenant à des familles très différentes, alors que dans les expériences de
Boussingault, quand il y a eu gain d’azote, ce gain s’est chiffré par des nombres très
petits par rapport à la dose d’azote initial contenue dans la graine? A ces diverses
questions il est impossible de répondre d’une manière satisfaisante; c’est pourquoi
nous avons tenu à mettre sous les yeux du lecteur, aussi sommairement que possible,
mais sans rien oublier d’eêsentiel, les pièces du procès. Il convient également de dire
que les expériences de G. Ville furent répétées devant une commission de l’Académie
des Sciences dont Chevreul était le rapporteur (C. R., t. xli, p. 757, 1855) et que celui-ci
termine ainsi son rapport : L’expérience faite au Muséum par M. Ville est conforme aux
conclusions qu’il avait tirées de ses travaux antérieurs.
II. Phénomènes naturels et expériences dans lesquels intervient l’azote
libre. — Résumons ce qui précède en disant qu’à la suite des travaux de Boussingault
et de ceux de G. Ville, la questiôn de la fixation de l’azote n’a pas fait un seul pas : on
ne trouve, en effet, dans ces travaux aucune expérience absolument démonstrative
capable d’entraîner la conviction dans un sens ou dans l'autre. Il convient de dire
immédiatement que ti’ois savants agronomes anglais, Lawes, Gilbert et Pugh, à la suite
de patientes recherches, conclurent dans le même sens que Boussingault. L’azote
gazeux ne peut profiter aux plantes (Proc. Roy. Society, t. x, p. 544, 1861). Aussi la
majeure partie des physiologistes se rangèrent à cette dernière opinion et n’admirent
la fixation, de l’azote gazeux ni par le sol ni par les plantes. Quelques-uns accordèrent
toutefois à l’azote une sorte de rôle indirect dans la nutrition des végétaux. C’est ainsi
que Harting (C. R., t. xli, p. 942) prétend que les plantes absorbent uniquement les
sels ammoniacaux et les nitrates, mais que l’azote libre sert indirectement à leur
nutrition en contribuant à la formation de ces sels dans le sol. Le phénomène intime
de la nitrification n’était pas connu à cette époque; Harting attribue évidemment à
l’azote libre un rôle direct dans la nitrification. Tout récemment encore, à la suite
d’études très longues et remplies de faits curieux, Lawes et Gilbert maintenaient leur
opinion première (Ann. agronomiques, t. ix, pp. 393, 451).
Et cependant un certain nombre de phénomènes naturels parlent en faveur de la
fixation de l’azote libre de l’atmosphère. Les forêts, par exemple, ne reçoivent jamais
d’engrais; leur exploitation régulière enlève à chaque coupe une quantité notable
d’azote qui ne leur est restituée sous aucune forme. Or le sol de la forêt reste indéfi¬
niment fertile; il y a donc intervention certaine de l’azote atmosphérique pour réparer
ces pertes continuelles. Cette intervention est également manifeste dans les prairies
des hautes montagnes. Truchot (C. R., t. lxxxi, p. 945) a remarqué que l’azote est
d’autant plus abondant dans le sol que le carbone s’y trouve lui-même en plus grande
quantité. Les sols volcaniques de l’Auvergne donnent en abondance une herbe qui
nourrit pendant six mois de l’année des troupeaux de vaches. Ces sols fournissent donc
indéfiniment de l’azote qui ne leur est rendu que par l’atmosphère; car les déjections
des animaux ne leur restituent qu’une bien faible quantité d’azote en comparaison de
celle qu’ils contiennent. Or, ces sols étant très riches en matières carbonées, Truchot
a émis l’opinion que ce sont les matières humiques qui fixent l’azote (voir aussi Duber-
nard, Chem. Centralb., 1887, p. 1236). Quelques années auparavant, Dehérain (C. R.,
t. lxxiii, p. 1352; t. lxvi, p. 1390) avait tenté de démontrer que, pendant la combustion