AUTOMATISME.
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de la nuit sont des conditions évidemment favorables à la suppression de l’idéation
volontaire; elles ne me paraissent pas suffisantes pour l’entraîner nécessairement. A ce
compte il n’y aurait pas d’insomnie rebelle, Nous savons bien qu’on objectera que les
excitations tactiles persistent; que ni l’obscurité, ni le silence, ni l’immobilité ne peu¬
vent être absolues; mais il y aurait tout de même, je crois, quelque exagération à pré¬
tendre que, si l’idéation persiste, c’est seulement à cause de ces très faibles excitations
périphériques.
D’autre part, quoique l’absence de stimulus extérieur soit favorable au sommeil, c’est-
à-dire à l’affaiblissement de la conscience, de la volonté et de l’idéation, on ne peut dire
que ce soit une condition indispensable; car, dans bien des cas, le sommeil survient au
milieu des excitations les plus fortes. On s’endort parfaitement à l’Opéra, malgré la
lumière et le bruit; la marche n’empêche pas de dormir; et les cavaliers qui voyagent la
nuit s’endorment sur leur cheval; le bruit du chemin de fer, avec les sifflements de la
machine, le fracas du wagon, permet un sommeil très profond; on s’endort de même,
dans les casemates, malgré le fracas des obus qui éclatent de toutes parts, de sorte que
la théorie du sommeil par défaut de stimulus extérieur n’est vraiment pas défendable.
Si on manipule des grenouilles, de manière à les mettre dans un certain état d’hypnose
ou même de cataplexie, on ne peut prétendre expliquer leur sommeil par l’absence de
stimulus périphérique, comme E. Heübel a essayé de le faire (Abhängigkeit des wachen
Gehirnzustandes von äusseren Erregungen, A. Pf., 1877, t. xiv, pp. 158-218), car il serait plus
exact de dire de ces grenouilles qu’elles sont soumises à des stimulations périphériques
exagérées, au lieu de dire qu’elles sont soustraites aux excitations périphériques.
Il résulte de ce double fait : insomnie sans excitants périphériques; sommeil avec
excitants périphériques, que l’hypothèse d’une idéation nécessairement liée à des exci¬
tations extérieures me paraît difficile à soutenir.
Et en effet, si nous examinons la nature des mouvements réflexes, nous voyons une
excitation déterminer un mouvement; et le plus souvent ce mouvement est simple, con¬
sistant en la contraction de quelques groupes musculaires tout au plus: mais quelque--
fois ce réflexe provoque une contraction d’ensemble; et non seulement un mouvement
général, mais encore une série de mouvements généraux qui peuvent se prolonger pen¬
dant longtemps.
Ce sont toujours des réflexes; mais parfois ils sont si éloignés de l’excitation primitive
qu’on serait tenté de les considérer comme automatiques. Cela est vrai surtout dans
les cas d’actes à demi volontaires provoqués par un stimulus. Voici par exemple une gre¬
nouille intacte, immobile; qu’on vienne à l’exciter fortement; elle va sauter, essayerde
fuir, se débattre, et son agitation pourra durer plusieurs minutes, un quart d’heure
même, et davantage encore.
Je veux bien que l’on regarde cette longue série de mouvements comme phéno¬
mènes réflexes; pourtant il faut avouer que la prolongation et la complication font
ressembler beaucoup ce phénomène à un phénomène de pur automatisme.
Le cerveau qui a conservé la trace de toutes les excitations antérieures est un appa¬
reil d’une si prodigieuse complexité que l’apparition d’une seule idée provoquée par une
sensation périphérique en fera jaillir immédiatement une foule d’autres, puis d’autres
encore, et ainsi de suite, sans qu’on puisse presque eu prévoir la fin; tant l’évocation
d’une idée amène fatalement l’évocation d’une autre idée. C’est cette succession ininter¬
rompue de phénomènes de conscience et d’idées qui constitue vraiment l’automatisme
psychique. Certes le point de départ a pu en être une excitation périphérique, et à ce
compte on peut dire qu’elle est d’origine réflexe; mais c’est un point de départ devenu
si lointain que l’idéation réflexe me semble vraiment devoir être considérée comme
une idéation automatique.
Quant à savoir jusqu’à quel point, pour continuer ces phénomènes de conscience
et d’idéation, les stimulants périphériques sont nécessaires, personne, je crois, ne saurait
le dire. Probablement les notions que nous donnent incessamment nos sens sur le monde
extérieur interviennent, sinon pour provoquer les idées, au moins pour les régler, les
indiquer, nous rappeler à la réalité. On peut supposer que le rêve, dans la période dite
hypnagogique du sommeil normal, nous fournit un exemple de ce qu’est l’idéation,
lorsque elle n’est plus réfrénée par l’influence modératrice des actions périphériques.