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qu'il ne pouvait l'etre en France. Au milieu des institutions quasi repu-
blicaines des municipalites italiennes, l'art etait une chose publique
comme dans les villes de l'antique Grece. On etait artiste ou artisan, et
l'on remplissait des fonctions publiques. L'art ctait compris de tous,
honore, envie, prend ou persecute. Sous un regime feodal absolu, l'ar-
tiste n'etait autre chose qu'un corveable, vilain, colon ou serf, executant
machinalement les fantaisies ou les ordres du maitre. Sous une theo-
cratie rivee a Fhieratisme, il ne pouvait ni se developper, ni se modifier,
mais, par cela nieme, il etait compris aujourd'hui comme hier. Dans un
pays jouissant d'institutions plus liberales, comme en Angleterre, par
exemple, il existait entre les diverses classes de la societe des rapports
dinterets frequents, qui faisaient qu'on se comprenait a peu pres d'une
classe a l'autre. Mais en France, d'un cote la noblesse fcodale conservant
ses prejuges de caste, s'appuyant sur le droit de conquete; de l'autre
une suzerainete contestee, cherchant son centre de force tzintot dans
cette noblesse, tantot dans les communes, tantet au sein du haut cierge.
Puis une population nombreuse n'ayant pas oublie completement ses
libertes municipales, toujours prete a se soulever, liardie, industrielle et
guerriere; a ses cotes, un cierge seculier jaloux de la preponderance des
etablissements monastiques, non moins jaloux de la noblesse feodale,
cherchant un point d'appui au milieu des villes et revant une sorte d'oli-
garchie clericale avec un souverain sans force, mais entoure d'un grand
prestige, sorte de doge avec un senat (Peverjues. Qui donc, dans une
societe ainsi divisee, pouvait s'occuper d'art? Les etablissements monas-
tiques? Ce n'etait pas leur moindre moyen d'action. Mais au sein des
communes, le vieil esprit gaulois reprenait son empire. Sans cesse en
insurrection, industrieuses et riches, maigre leurs luttes contre les pou-
voirs feodaux, ces communes se groupaient en corps de metiers, for-
maient des conciliabules secrets, puisqu'en jetait bas leurs salles aux
bourgeois, et qu'on leur interdisait les reunions sur la place publique.
C'est dans ces foyers des libertes municipales que se formerent les ecoles
laiques d'artistes, et le jour ou elles furent assez fortes pour travailler sans
recourir a l'enseignement monastique, les eveques, croyant trouver la le
pivot de leurs projets contre la puissance des abbayes et de la feodalite
laique, süidresserent a ces ecoles pour batir le monument de la cite, la
cathedrale f. Qui donc alors aurait pu apprecier le travail intellectuel, le
developpement d'art qui s'etait fait dans ces conciliabules de bourgeois,
artistes et artisans? Ils setaient instruits dans l'ombre; quand ils edi-
Iierent au grand jour, leurs monuments etaicnt des mysteres pour tous,
excepte pour eux : et de meme que dans Pieuvre individuelle le style ne
se montre que si l'artiste vit en dehors du monde, dans une expression
generale d'art le style est comme le parfum d'un etat primitif des esprits
1 Voyez, ü l'article CATIIFIDRALE, l'historique de la construction de ces ddiüces pendant
les xnc ct xxnc sibclcs.