RESTAURATION
aux prises avec les diflicultes pratiques du metier, preferaient rester Z1
Paris, en attendant qu'on leur coniiat quelque oeuvre digne de leur
talent, au labeurjournalier que leur offrait la province. Si quelques-uns
d'entre eux retournaient dans les departements, ce n'etait que pour
occuper des positions superieures dans nos plus grandes villes. Les
loealites secondaires restaient ainsi en dehors de tout progres d'art, de
tout savoir, et se voyaient contraintes de confier la direction des travaux
municipaux a des conducteurs des ponts et chaussees, a des arpenteurs,
voire a des maitres d'6cole un peu geometres. Certes, les premiers qui
penserent a sauver de la ruine les plus beaux editiees sur notre sol,
legues par le passe, et qui organiseront le service des monuments histo-
riques, n'agirent que sous une inspiration d'artistes. lls furent effrayes
de la destruction qui menaeait tous ces debris si remarquables, et des
actes de vandalisme accomplis chaque jour avec la plus aveugle indiffe-
rence; mais ils ne purent prevoir tout d'abord les resultats considerables
de leur ceuvre, au point de vue purement utile. Cäpendzint ils ne tar-
derent point a reconnaitre que plus les travaux qu'ils faisaient executer
se trouvaient places dans des localites isolecs, plus l'influencebienfai-
sante de ces travaux se faisait sentir et rayonnait, pour ainsi dire. Apres
quelques annees, des loealites oül'on n'exploitait plus de belles carrieres,
ou l'on ne trouvait ni un tailleur de pierre, ni un charpentier, ni un
forgeron capable de faconner autre chose que des fers de chevaux, four-
nissaient a tous les arrondissements voisins d'excellents ouvriers, des
methodes economiques et sures, avaient vu s'elever de bons entrepre-
neurs, des appareilleurs subtils, et inaugurer des principes d'ordre et
de regnlarite dans la marche administrative des travaux. Quelques-uns
de ces chantiers virent la plupart de leurs tailleurs de pierre fournir des
appareilleurs pour un grand nombre d'ateliers. Heureusement, si dans
notre pays la routine regne parfois en maitresse dans les sommites, il
est aise de la vaincre en bas, avec de la persistance et du soin. Nos
ouvriers, parce qu'ils sont intelligents, ne reconnaissent guere que la
puissance de l'intelligence. Autant ils sont negligents et indilferents
dans un chantier ou le salaire est la seule recompense et la discipline le
seul moyen d'action, autant ils sont actifs, soigneux, la ou ils sentent
une direction methodique sure dans ses allures, oü l'on prend la peine
de leur expliquer l'avantage ou Finconvenient de telle n1ethode.L'amour-
propre est le stimulant le plus energique chez ces hommes attaches a un
travail manuel, et, en s'adressant a leur intelligence, a leur raison, on
peut tout en obtenir.
Aussi avec quel interet les architectes qui s'etaient attaches ä cette
oeuvre de la restauration de nos anciens monuments, ne suivaient-ils
pas de semaine en semaine les progres de ces ouvriers arrivant peu a
peu a se prendre d'amour pour Ymuvre a laquelle ils concouraient ? il
y aurait de notre part de l'ingratitude a ne pas consigner dans ces pages
les sentiments de desinteressement, le devouement qu'ont bien souvent