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nomie, de leur ajustement, fussent de pauvres diables, ignorants, super.
stitieux, grossiers. Tant vaut l'homme, tant vaut l'oeuvre d'art qu'il met
au jour; et jamais d'un esprit borne, d'un caractere vulgaire, il ne sor-
tira qu'une oeuvre plate. Pour faire des artistes, faites des hommes
d'abord. Que les artistes francais du moyen age aient tres-rarement signe
leurs oeuvres, cela ne prouve pas qu'ils fussent de pauvres machines
obeissantes; cela prouve seulement qu'ils pensaient, non sans quelque
fondement, qu'un nom au bas d'une statue n'ajouterait rien a sa valeur
reelle aux yeux des gens de goüt; ceux-ci n'ayant pas besoin d'un certi-
ficat ou d'un titre pour juger une oeuvre. En cela ils etaient simples,
comme les gens qui comptent plus sur leur bonne mine et leur facon do
se presenter pour etre bien recus partout, que sur les decorations dont
ils pourraient orner leur boutonniere. Nous avons change tout cela, et
aujourd'hui, a l'imitation des Italiens, de tout temps grands tambouri-
neurs de reputation, c'est l'attache du nom de l'artiste auquel, a tort ou
a raison, on a fait une celebrite, qui donne de la valeur a l'oeuvre. Mais
qu'est-ce que l'art a gagne a celal?
Quelques-uns veulent voir dans cette rarete de noms d'artistes sur
notre statuaire une marque (Yhumilite chretienne; mais les ozuvres d'art
sur lesquelles on trouve le plus de noms sont des sculptures romanes,
dues a des artistes moines, ou d'assez mediocres ouvrages. Comment
donc les meilleurs artistes et les artistes laiques eussent-ils pu montrer
plus d'humilite chretienne que des moines et de pauvres iinagiers de
petites villes? Non, ces consciencieux artistes du X1110 siecle voyaient,
dans l'oeuvre d'art, l'art, et non point leur personne, ou plutot leur per-
sonnalite passait dans leurs ouvrages. Ils s'animaient peut-etre en son-
geant que la posterite,'pendant des siecles, admirerait leurs statues, et
n'avaient point la vanite de croire qu'elle se soucierait de savoir si ceux
qui les avaient sculptees s'appelaient Jacques ou Guillaume.
D'ailleurs que voulaient-ils ? Concourir a un ensemble; ni le sculpteur,
ni le peintre, ni le verrier, ne se separaient de Yediüce. Ils n'etaient pas
gens a aller regarder leur statue, ou leur vitrail, ou leur peinture, inde-
pendarnment du monument auquel s'attachaient ces ouvrages. Ils se
Consideraient comme les parties d'un tout, sorte de choeur dans lequel
chacun s'evertuait non pas a crier plus fort ou sur un autre ton que son
voisin, mais a produire un ensemble harmonieux et complet. Mais nous
expliquerons plus loin les motifs de cette absence de noms sur les (euvres
d'art du XIIIÜ siecle.
Nous n'avons guere donne jusque present que des exemples isoles
1 On 'sait qu'aujourd'hui l'amateur paye une statue, un tableau beaucoup plus cher
S'ils sont signäs que s'ils ne le sont pas. Du märite intrinsbque de l'oeuvre on ne s'en
SOucie qu'autunt que ce märite est certifiä. L'amateur d'art est devenu le bibelotier,
brocanteur de bric-ä-brac, achetant pour vendre avec bänoflcc, ct ne voulant acheter
par consä-quent que des objets düment baptisäs.