SCULPTURE
Pression dramatique ne se communique au spectateur que si elle emane
d'une idee simple, et que si cette idee se traduit, non par l'apparence
materielle du fait, mais par une sorte de traduction ideale ou poetique,
ou par l'expression d'un sentiment parallele, dirons-nous. Ainsi, donner
21 un heros des dimensions superieures a celles des personnages qu'il
combat, c'est rentrer dans la premiere condition. Donner a ce heros une
Dhysionomie impassible pendant une action violente, c'est rentrer dans
1a seconde. Bepresenter un personnage colossal lancant du haut de son
char, entraine par des chevaux au galop, des traits sur une foule de pe-
"lits ennemis renverses et suppliants, c'est une traduction ideale ou poe-
ÜCIUB d'un fait; donner aux traits de ce personnage une expression im-
passible, de telle sorte qu'il semble ne jeter sur ces vaincus qu'un regard
Vaälle, exempt de passion ou de colere, c'est graver dans l'esprit du
Spectateur une impression de grandeur morale qui produit instinctive-
ment l'effet voulu.
Nous ne possedons malheureusement qu'un tries-petit nombre de
äPandes compositions de la statuaire grecque, et il serait difficile de suivre
121 filiation du dramatique dans cet art. La composition des frontons
du temple d'Egine obtenue au moyen de statues representant, dans di-
Yerses poses, un fait materiel, n'a rien de dramatique. Mais cependant le
sentiment du dramatique est profondement grave dans l'art grec des une
assez haute antiquite, si l'on en juge par certains fragments du temple de
Selinonte deja indiques, et par les peintures des vases. Le sentiment
dramatique (la verite du geste mise a part) est "tres-developlse dans la
statuaire du Parthenon et du temple de Thesee, mais developpe dans le
SÜIS purement materiel. C'est beaucoup d'emouvoir par la beaute exte-
Pleure, et c'est peut-etre ce qu'avant tout doit chercher le statuaire, mais
C? n'est pas tout, croyons-nous. Il est d'autres cordes que l'art peut faire
vibrer, et la difficulte est de reunir dans un meme objet, et la beaute
lÜäStique qui saisit l'esprit par les yeux, et ce reflet d'une pensee qui
tfünsporte l'esprit au dela de la representation materielle. Rarement ces
deux resultats sont atteints dans Yantiquite; plus rarement encore dans
l'art du moyen age. Le sens dramatique, si profond souvent dans la
Siatuaire du moyen age, semble gener le developpement du beau plas-
Uque, et le statuaire, tout penetre de son idee, l'exprime sans songer a la
beaute de la forme. Il n'en faut pas moins distinguer ces qualites et en
tenir compte.
Quelques bas-reliefs de la fin du XIIB siecle de l'ec0le de 1'Ile-de_
France sont tries-fortement empreints du sentiment dramatique. Nous
citerons entre autres celui qui, sur le tympan de la porte centrale de 1a
cathedrale de Senlis, represente la mort de la Vierge, et la Pexäeution QSL
maut quantitä de dätails, mais en rendant d'autant mieux l'allure imposante de cet ani-
mal, cela n'est point de la nalvetä; tout au contraire, c'est le räsultat d'un art tries-
räflächi et tries-sür de ce qu'il fait.