[ SCULPTURE ] llili
trer dans l'atelier du laique, celui-ci s'en saisit comme d'un moyen d'ex-
primer ses aspirations longtemps contenues, ses desirs et ses esperances.
L'art, dans la societe des villes, devint, au milieu d'un etat politique tres-
imparfait, qu'on nous passe l'expression, une sorte de [ibertäflc la
presse, un exutoire pour les intelligences toujours pretes a reagir contre
les abus de l'etat feodal. La societe civile vit dans l'art un registre ouvert
oü elle pouvait jeter hardiment ses pensees sous le manteau de la
religion; que cela fut reflechi, nous ne le pretendons pas, mais c'etait
un instinct: l'instinct qui pousse une foule manquant d'air vers une
porte ouverte. Les eveques, au sein des villes du Nord qui avaient des
longtemps manifeste lebesoin de s'affranchir des pouvoirs feodaux, dans
ce qu'ils crurent etre Finteret de leur domination, pousserent active-
ment a ce developpement des arts, sans s'apercevoir que les arts, une
fois entre les Inains laiques, allaient devenir un moyen d'affranchisse-
ment, de critique intellectuelle dont ils ne seraient bientot plus les mai-
tres. Si l'on examine avec une attention profonde cette sculpture laique
du X111" siecle, si on Yetudie dans ses moindres details, on y decoilvre
bien autre chose que ce qu'on appelle le sentiment religieux : ce qu'on
y voit, destavant tout un sentiment (lemocratique prononce dans la ma-
niere de traiter les programmes donnes, une haine de l'oppression qui
se fait jour partout, et ce qui est plusnoble et ce qui en fait un art digne
de ce nom, le degagement de l'intelligence des langes theoqratiques et
feodaux. Considerez ces tetes des personnages qui garnissent les por-
de la puissance morale, sous toutes les formes. Celle-ci est pensive et
severe gcctte autre laisse percer une pointe d'ironie entre ses levres ser-
rees. La sont ces prophetes du linteau de la V ierge,dont la physionomie
meditative et intelligente finit, si on les considere de pros et pendant un
certain temps, par vous embarrasser comme un probleme. Plusieurs,
animes d'une foi sans melange, ont les traits (Yillumines; mais combien
plus expriment un doute, posent une question et la meditent? Aussi nous
expliquons-nous aujourd'hui les dedains et les colores meme quexcitc,
dans certains esprits, l'admiration que nous professons pour ces ceuvres,
surtout si nous les declarons franqaises. Au fond, cette protestation est
raisonuee. Longtemps nous avons pense car tout artiste possede une
dose de naivete qu'il y avait, dans cette opposition a notre admiration,
ignorance des (nuvres, presomptions ou prejuges qu'un examen sincere
pourrait vaincre a la longue. Nous nous abusions completement. La
question, c'est qu'il ne faut pas que cet art puisse passer pour beau; et il
ne faut pas que cet art soit admis comme beau, parce qu'il est une mar-
que profonde de ce que peut obtenir l'aifranchisse1nent des intelligences
et des developpements que cet zilfranchissement peut prendre. Une ecole
qui, elevee sous des cloitres, dans des traditions respectees, s'en eloigue
brusquement, pour aller demander la lumiere a sa propre intelligence,
ä sa raison et a son examen, pour reagir contre un dogmatisme seculaire