SCULPTURE
130
Rome imperiale n'a pas un art qui lui soit propre, au moins quanta la
statuaire. Pendant les beaux temps du moyen age l'art de la statuaire
etait compris, c'etait un livre ouvert ou chacun lisait. La prodigieuse
quantite d'oeuvres de statuaire qu'on fit a cette epoque prouve com-
bien cet art etait entre dans les mmurs. Il faut considerer d'ailleurs que
si toutes ces sculptures ne sont pas des ehefs-dkeuvre, il n'en est pas une
qui soit vulgaire; Fexecution est plus ou moins parfaite, mais le style,
la pensee, ne font jamais defaut. La statuaire remplit un objet, signifie
quelque chose, sait ce qu'elle veut dire et le dit toujours. Et l'on pourrait
mettre au defi de trouver dans un monument du moyen age une figure,
une seule, occupant une place sans autre raison, comme cela se fait tous
les jours au xlx" siecle, que de loger quelque part une statue achetee
par l'Etat a M.
Un statuaire dans son atelier fait une statue pour une exposition
publique : cette statue etait, il y a trente ans, un Cincinnatus, ou un
Selon, ou une nymphe; aujourd'hui c'est un jeune patre, ou une idee
metaphysicjue, FEsperance, l'Attente, le Desespoir. Deux ou trois parti-
culiers en France, ou l'Etat, peuvent seuls acheter cette muvrti... Acquise,
oü la place-t-on Dans un jardin Dans un musee de province ; dans
la niche vide de telou tel edilice ; dans une chapelle ou dans le vestibule
d'un palais.
Or, comment une statue eoncue dans un atelier, sans savoir quelle
sera sa destination, si elle sera eclairee par les rayons du soleil ou par
un jour interieur; comment cette statue, aehetee par des personnes qui
ne l'ont point demandee pour un objet special et qui ne savent ou la
placer, comment cette statue, disons-nous, produirait-elle une impres-
sion sur le public Excepte quelques amateurs qui pourront appreciei"
certaines qualites (Fexecution, qui s'en occupera ? qui la regardera ?
Si des Atheniens voyaient ces niches vides dans nos editiees, attendant
des statues inconnues, et ces statues dans des ateliers demandant des
places qui n'existent pas, nous crojyons qu'ils nous trouveraient de
singulieres idees sur les arts, et qu'en allant regarder les portails de
Ghartres, de Paris, d'Amiens ou de lteims, ils nous demanderaient quel
tetait le peuple, disperse aujourd'hui, auteur de ces muvres. Mais si nous
leur repondions, ainsi que de raison, que ces maitres passes etaient nos
ancetres, nos ancetres... barbares, et que nous, gens civilises, nous
pratiquons l'art de la statuaire pour cinq ou six cents amateurs en
France ou pretendus tels; que d'ailleurs la multitude n'est pas faite
pour comprendre ces produits acadenliques developpes a grand'peine
en serre chaude, les Atheniens nous riraient au nez.
Le grand malentendu, c'est de supposer que lebeau, parce qu'il est
un, est attache a une seule forme; or, la forme que revet le beau et
l'essence du beau ce sont deux choses aussi distinctes que peuvent Petre
une pensee et la faeon de l'exprimer, le principe createur et la creature.
L'erreur moderne des statuaires est de croire qu'en reproduisant l'enve-