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leurs oeuvres, il etait tout simple de ne pas tenir compte des ensei-
gnements qu'elles fournissent. Plutot que d'y revenir, on a prefere.
admettre une bonne fois que les Francais ne sont pas nes coloristes. On
aime, chez nous, a donner aux prejuges une sorte de consecration dog-
matique, cela va bien a la paresse d'esprit; c'est un arret fatal contre le-
quel nous nous persuadons aisement que notre volonte ou notre retlexion
ne saurait reagir: les consciences se rassurent; ainsi on se dispense de
tout eiiort. Il est bien certain que le sentiment et Yexperience de l'har-
monie colorante sont perdus en France depuis plus de deux siecles, et
les pales tentatives faites de nos jours pour colorer l'architecture en sont
une preuve sans replique. N'est-ce pas, par exemple, se meprendre sur
les conditions de l'harmonie colorante appliquee a l'architecture, que
de supposer qu'on obtiendra un effet heureux en faisant intervenir le
marbre comme element de couleur au milieu d'une structure de pierre ?
Le marbre, dont la tonalite est chaude et dure souvent, qui prend
des reflets heurtes, ne peut s'allier aux tons legers et transparents de
la pierre; c'est pis encore si, avec le marbre, on emploie le metal aux
lumieres etincelantes. Alors la pierre perd a l'oeil toute solidite, ses tons
et ses formes memes s'emoussent, salourdissent. On voudrait la fouiller,
redessiner ses aretes, ses contours.
Aucun peuple ayant laisse des (euvres d'architecture recommandables
n'esttombe dans une erreur aussi profonde. Les Grecs ont colore le mar-
bre blanc, qu'ils employaient a cause de la finesse de sa contexture ; mais
ils l'ont colore en totalite, et n'ont jamais tente de placer des marbres de
couleur a cote de marbre blanc, et surtout a cote d'une pierre calcaire.
Les Romains, qui n'avaient pas d'ailleurs un sentiment bien eleve de
l'harmonie, n'ont jamais employe les marbres de couleur simultanement.
avec la pierre laissee dans son etat normal. Saint-Mare de Venise, qui
presente exterieurement comme interieurement une harmonie eoloree
d'un si heureux effet, est entierement revetu de plaques de marbre d'un
ton tres-fin, de mosaiques et de dorures; de la pierre on ne voit pas
trace. Les artistes du moyen age ont admis la peinture a Pexterieur
et a l'interieur de leurs ediliees; mais la peinture n'a pas la rigidite du
marbre; on ne subit pas sa tonalite, on la cherche et on la trouve. Ils
avaient, pour les interieurs des grands vaisseaux, la peinture. La colo-
ration des vitraux avait l'avantage de jeter sur les parois opaques un
voile, un glacis colorant d'une extreme delieatesse, quand, bien entendu,
les verrieres etaient elles-memes d'une tonalite harmonieuse. Si les res-
sources dont ils disposaient ne leur permettaient pas d'adopter 11H Gu-
semble devitraux colores, ou s'ils voulaient faire penetrer d'une maniere
plus pure la lumiere du jour dans les interieurs, ils avaient adopte cette
belle decoration des grisailles, qui est encore une haFHIOIIiG Colorante
obtenue a l'aide d'une longue experience des effets de la lumiere sur des
surfaces translucides. Beaucoup de nos eglises conservent des verrieres
en grisailles fermant, soit la totalite de leurs baies, soit une partie seu-