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ait adopte le canevas antique, il a fait parler Mercure, la Nuit, Jupiter,
Amphitryon, Alcmene et Sosie, comme parlaient les seigneurs, les
dames et les valets de la cour, et non comme des Grecs. Bien mieux,
il a donne a ses personnages les sentiments, les idees et les prejuges
de son temps; pour exprimer ces idees, ces sentiments, il n'a pas
cousu des mots grecs ou latins a sa phrase franeaise. Le nom des per-
sonnages ne fait la rien a l'affaire, et Jupiter pourrait s'appeler Louis
le Grand et porter la grande perruque. Certes Moliere, comme tous les
auteurs illustres du xvn" siecle, appreciait fort les anciens, zivait su s'en
servir; cessait-il pour cela d'etre Francais, et si nous Padmirons, n'est-ce
pas parce qu'il est bien Francais? Pourquoi donc, a l'architecture seule,
serait-il permis de s'exprimer comme l'ecoliei' limousin de llabelais,
et en quoi ce jargon peut-il etre conforme aux regles du goüt?
La pierre, le bois, le fer, sont les materiaux avec lesquels l'architecte
battit, satisfait aux besoins de son temps. Pour exprimer ses idees, il
donne des formes a ces materianx; ces formes ne sont pas et ne peu-
vent etre dues au hasard, elles sont produites par les necessites de la
construction, par ces besoins memes auxquels l'artiste esttenu de satis-
faire, et par l'impression qu'il veut produire sur le public 1 c'est une
sorte de langage pour les yeux. Comment admettre que ce langage ne
corresponde pas a Fidee, soit dans l'ensemble, soit dans les (letails?et
comment admettre aussi qu'un langage forme de membres sans relations
entre eux puisse etre compris? Cette confusion, introduite au xvne siecle,
a bientot fait de l'architecture un art incomprehcnsihle pour le public;
nous en voyons aujourd'hui plus quejamais les tristes etfets.
De l'introduction irreflechie de certaines formes et non de l'esprit de
Pantiquite dans l'architecture, on en est venu bientot a la corruption
de ces formes dont les principes n'avaient point ete reconnus tout d'a-
bord. Au xvme siecle, on croyait encore pratiquer les arts romains,
tandis qu'on ne faisait qu'aggraver le desordre qui setait mis dans
Fetude de l'architecture. Cependant le goüt, le sentiment des conve-
nances est assez naturel chez nous, pour que, dans ce desordre memc,
on trouve les traces de cette qualite francaise. Nos chateaux, nos edi-
fices publics du dernier siecle, ont un certain air de grandeur calme,
une raison, bien eloignes des exagerations que1'on rencontre alors dans
les edifices analogues batis en Italie et en Allemagne. L'un des signes
les plus visibles de la confusion qui s'est faite dans les esprits tlcpuis
cette epoque, c'est le role infime que l'on a donne au gout dans laillTlll-
tecture. Le goüt est devenu une qualite de detail, un attrait fugitif, a
peine appreciable, que l'on ne saurait dctinir, vague, et qui (105 101-5
xretait plus considere par nos architectes comme la conscquence de
principes invariables. Le goüt n'a plus ete qu'un esclave de la mode, et
il s'est trouve alors que les artistes reconnus pour avoir- du gout en
1780 n'en avaient plus en 1800. Cette depreciation du gom a fait (lire,
par exemple, que tel artiste ne possedait ni la theorie ni la pratique de