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Chaque ilfliliä ne pouvant avoir qu'un, deux ou trois apprentis sous ses
ordres, devenait ainsi, vis-a-vis le maitre de l'oeuvre, ce que nous appe-
lons aujourd'hui le compagnon, ayant avec lui un ou plusieurs gargons.
Alors le salaire se regla par journees de compagnon et d'aide, et
chaque compagnon devenait ainsi comme une fraction d'entrepreneur
concourant 51 l'entreprise generale, au moyen d'un salaire convenu et
regle pour telle ou telle partie. Aussi les marques de tächerons ne se
voient plus sur nos monuments des provinces du domaine royal a dater
du milieu du x11? siecle.
Le maitre de l'oeuvre, charge de la conception et de la direction de
l'ouvrage, se trouvait en meme temps le repartiteur des salaires, fai-
sant, comme nous dirions aujourd'hui, soumissionner telle partie, telle
vente, tel pilier, telle portion de muraille par tel et tel compagnon.
C'est ce qui explique, dans un meme edilice, ces differences d'execution
que l'on remarque d'un pilier, d'une voüte, d'une travee 51 l'autre, cer-
taines variations dans les profils, etc. Les materiaux etant fournis par
celui qui faisait bätir, ils etaient livres a chacun de ces compagnons
apres avoir ete traces par le maitre de l'oeuvre, car le maitre de l'oeuvre
etait forcement appareilleur 1. Le systeme de construction admis par les
architectes du moyen age les obligeait a se mettre en rapport direct avec
les ouvriers. Etencore aujourd'hui ne peut-on proceder autrement quand
on veut l'appliquer. Il resultait naturellement de ces rapports continuels
entre l'ordonnateur et Pexecutant un cachet d'art tries-fortement em-
preint sur les moindres parties delkeuxfre, comme l'expression d'une
meme pensee entre l'esprit qui combinait et la main qui executait.
Nous avons change tout cela, et de notre temps les intermediaires
entre l'architecte qui travaille dans son cabinet et l'ouvrier qui taille la
pierre sont si nombreux, se connaissent si peu, que Yexecution n'est
qu'une empreinte ellhcee de la conception.
Nous sommes certainement des gens civilises, mais nous le serions
davantage si, au lieu de manifester un dedain profond pour des insti-
tutions que nous connaissons mal et qui donneraient quelque peine a
etudier, nous tentions d'en proliter. Ainsi, il est bien certain qu'au
mÜYeÜ 5180, entre le maitre de Pceuvre et l'ouvrier il n'y avait pas la
distance immense qui separe aujourd'hui l'architecte des derniers exe-
cutants; ce n'etait pas certes l'architecte qui se trouvait place plus bas
sur les degres de Pechelle intellectuelle, mais bien l'ouvrier qui atteignait
un degre superieur. Pour ne parler que de la maconnerie, la maniere
1 Toutes les FGPPäSBHlZZILiOIIS de maitres des oeuvres au moyen ügc les montrent avec le
grand compas (Fappareilleur il la main. Si nous disons que le maitre de l'oeuvre emn for-
cement appareillcur, c'est qu'en effet, 1e systeme de Farchitccture dite gothique admis, il
est necossmre que l'architecte trace lui-mome les äpures des divers membres de son ediflccl,
Ce, fait seul explique pourquoi ce systeme do construction est repousse, comme indigne de
notre etat civilise, par les maitres des muvres de notre temps, Gesf, ä tout, prendre, un
assez dur meticr que celui cfappareilleur.