GOUT
Toute forme d'architecture qui ne peut etre donnee comme la con-
sequence d'une idcc, d'un besoin, d'une necessite, ne peut etre regar-
dee comme oeuvre de goüt. S'il y a du goüt dans Fexecution d'une
colonne, ce n'est pas une raison pour que la colonnade dont elle fait
partie soit une oeuvre de goüt; car, pour cela, il faut q11e cette colon-
nade soit aIsa place et ait une raison d'etre. Si l'on vient dire z a (le
palais est mal distribue, incommode; les services ne sont pas a leur
place, les pieces sont obscures, la construction est vicieuse, mais il est
decfire avec goüt n, c'est ä peu pres comme si l'on pretendait qu'un
livre est rempli d'erreurs, que les idees de l'auteur sont confuses, son
sujet mal developpe, mais qu'il est ecrit avec elegancte. La premiere
loi, pour un ecrivain, c'est de savoir ce qu'il veut dire et de se faire
comprendre; la clarte est une des conditions du goüt en litterature
comme en architecture. Pour exprimer ses idees avec clarte, avec ele-
gance, faut-il avoir des idees, faut-il que ces idees precedent la forme
qui devra servir a les exprimer. Mais si, au contraire, nous nous preoc-
cupons de la forme avant (le savoir ce qu'elle devra exprimer, nous ne
faisons pas preuve de goüt. Si les portiques des Romains, eleves pres
des places publiques; si ces vastes promenoirs couverts, accessibles
a la foule, laissant circuler l'air et la lumiere sous un beau climat, mar-
quaientle goüt des maitres du monde en fait de constructions urbaines,
la colonnade du Louvre, elevee sur un rez-de-chziussee, inaccessible au
public, n'a.britant les rares visiteurs qui la parcourent ni du soleil ni
de la pluie, n'etant pas en rapportde proportions et de dimensions avec
les autres parties du palais, ne peut raisonnablement passer pour une
couvre de goüt. Nous adinettrons bien, si l'on veut, que l'ordre est etudie
avec goüt, dest-a-dire qu'il est en rapport harmonieux de propor-
tions avec lui-meme, mais ce portique, comme portique applique a
un palais, est de tres-niauvais goüt.
non erat hic Iocus...
Il est des temps, heureux pour l'art, ou le goüt n'a pas besoin (Yetre
defini; 1l existe par cela meme que Part est vrai, qu'il se soumet aux
enseignements de la raison, qu'il ne repudiepais son origine et ne parle
quüiutant qu'il a quelque Chose ä dire. Dans ces temps on ne se pre-
occupe pas de donner les regles du goüt, pas plus que parmi d'hon-
netes gens on ne se preoccupe de discuter sur ce qui est licite et ce
qui ne l'est pas. On eommenee ä parler du goüt (luzmd le goüt seloigne
de l art po-ur se refugier dans lesprit de rares artistes; on ifeerit des
livres sur la vertu que cpiand le vice (lomine. Ces temps heureux sont
loin de nous; ils ont existe rhez les Grecs de Tautiquite, ils ont brille
pendant le moyen äge, ils pourraient ronziitre peut-etre, 51 lu condition
dhulxnetlriw que le gent consiste dans liobservaticm de principes tres-
simples, non dans lu preferencc donnee 5L telle forme sur une autre.
Quand le gout est renferme dans les limites d'une cotcrie" si ilisszmle
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