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habitations indiquant les habitudes et les goüts de chacun, se modifiant
au fur et a mesure des changements qui soperent dans ces habitudes
et ces goüts. Le systeme feodal, bien qu'impose en France par la con-
quete, bien quüintipathique aux populations gallo-romaines, n'etait
pas fait pour detruire Pindividualisnte, la responsabilite personnelle : au
contraire, il developpait avec energie ce sentiment naturel aux popula-
tions occidentales, il etablissait la lutte a Petat permanent, il laissait
un dernier recours contre l'oppression par l'emploi du mecanisme feodal
lui-meme ; car tout individu opprime par un seigneur pouvait toujours
recourir au suzerain, et toute municipalite pouvait, en se jetant tantot
dans le parti de leveque, tantot dans celui du baron laique, ou en les
repoussant l'un et l'autre pour se donner au suzerain, faire un dernier
appel contre la tyrannie. Ce n'etait pas la certainement un etat regle,
police, comme nous Pentendons; mais ce netait pas non plus un etat
contraire au developpement intellectuel de l'individu. Aussi l'individu,
dans les villes du moyen age, est quelque chose, et, par suite, son habi-
tation conserve un caractere defmi, reconnaissable.
Le gouvernement absolu de Louis XIV etouffe presque entierement ce
sentiment si actif encore jusqu' a la fin du XVIe siecle, et la maison du
citadin franglais au Xvne perd tout caractere individuel. L'habitation des
villes devient un magasin de familles. Uniformement baties, uniforme-
ment percees ou distribuees, ces demeures engloutissent les citoyens,
qui perdent, en y entrant, toute physionomie individuelle et ne se
reconnaissent plus, pour ainsi dire, que par des noms de rues et des
numeros d'ordre. Aussi nous voyons qu'en Angleterre, ou le sentiment
de la responsabilite individuelle, de la distinction de l'individu s'est beau-
coup mieux conserve que chez nous,les habitants des grandes villes,
s'ils possedent des maisons a peu pres semblables comme apparence,
les possedent du moins par famille et ne se pretent que difficilement a
cette reunion de nombreux locataires dans une meme habitation. Ce
fait nous parait avoir une signiiication morale d'une haute importance,
Ct ce n'est pas sans une vive satisfaction que nous voyons de nos jours
Ce sentiment de la distinction de la famille, de lündtividualisme, s'empa-
rer de nouveau des esprits, et reagir contre Penervant systeme introduit
Bu France sous le gouvernement de Louis XIV.
Chacun desire avoir sa maison: or, si l'immense majorite des habi-
tants de nos grandes cites ne peut encore satisfaire ce goüt a la ville,
du moins cherche-t-on a s'affranchir des conditions facheuses de la
demeure banale, en faisant elever ces myriades de petites maisons
suburbaines qui peuplent tous nos environs, et dans lesquelles les
familles meme peu fortunees peuvent passer une bonne partie de
Vannee. Ce sera une des gloires de notre epoque d'avoir su prendre les
mesures les plus radicales pour provoquer cette tendance saine des
esprits : car, selon nous, un Etat ne pourra se dire moralement civilise
que le jour ou chaque citoyen possedera son logis en propre, 5153115 lequel
VI.