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FLORE
artistes observateurs, ennuyes de la monotonie des arts romans, ne se
seraient-ils pas epris de cette modeste flore des champs, et cherchant
un art, n'auraient-ils pas dit, en decouvrant ces tresors caches : u Je
l'ai trouve ? a Une fois sur cette voie, nous suivimes pas a pas, et non
sans un vifinlleret, les interpretations ingenieuses de nos devanciers;
notre examen nous conduisit a de singuliers resultals. Nous recon-
numes que les premiers artistes (il est entendu que nous ne parlons ici
que de Fecole laique qui seleve, de 111-0 a 1180, dans Flle-de-France
et les provinces voisines) sefaient attaches aimitcr la physionomie de
ces modestes plantes des champs au moment ou elles se fleveloppent,
ou les feuilles sortent a peine de leurs bourgeons, ou les boutons ap-
paraissent, oi1 les tiges epaisses, pleines de scve, n'ont pas atteint leur_
developpement; qu'ils avaient ete jusque chercher comme motifs
d'orne1nents des embryons, ou bien encore des pistils, des graines et
jusque des etamines de fleurs. C'est avec ces elements qu'ils compo-
sent ces larges chapiteaux que nous admirons autour du choeur de
Notre-Dame de Paris, dans Peglisc Saint-Julien le Pauvre, dans celle de
Saint-Quiriace de Provins, a Senlis, a Sens, a Saint-Leu d'Esserent,
dans le choeur de Vezelzrv, dans Feglise de Montreal, a Notre-Dame de
Ghalons-sur-Marne, autour du sanctuaire de Saint-Bcmi de Reims.
Bientot. (car nous savons que ces artistes ne sarretent pas en chemin),
de l'imitation de la flore naissante ils passent a l'imitation de la flore
qui se devcloppe : les tiges s'allongent et snmaigrissent; les feuilles
s'ouv'rent, säälalent; les boutons deviennent des fleurs et des fruits.
Plus tard, ces artistes oublient leurs humbles modeles primitifs : ils
vont chercher leurs exemples sur les arbustes; ils s'emparent du Lierre,
de la Vigne, du Houx, des Mauves, de l'Eglantier, de l'Erable. A la fin
du X1118 siecle, ils en viennent a copier servilement le Ghene, le Pru-
nier sauvage, le Figuier, le Poirier, aussi bien que les feuilles d'eau, le
Liseron, le Persil, les hcrbacees, comme les feuillages des grands arbres
de nos forets; tout leur est bon, tout leur est un motif (Pornement.
Disons tout de suite que l'imitation s'approche d'autant plus de la rea-
lite que l'art gothique avance vers sa decadence. A la fin du x11? siecle,
et encore au commencement du xurf, cette imitation est soumise a des
donnees monumentales qui pretent a la sculpture une beautcparticu-
liere. Disons encore que cette sculpture est d'autant plus grande, large,
puissante, monumentale enfin, qu'elle va chercher ses inspirations
parmi les plantes les plus modestes; tantlis qu'elle tombe dans la se-
cheresse et la maigreur lorsqu'elle veut copier les feuilles des grands
vegetaux.
Les artistes Iaiques du XIIG siecle, se servant de ces plantes, en sai-
sissent les caracteres principaux, la physionomie ; elles deviennent pour
eux un sujet d'inspiration plutot qu'un 1noclele banal. Mais prenons
quelques exemples. N'est-il pas evident, par exemple, que les Pinceaux
qui (lelcorent, l'un des cotes du trumeau de la porte centrale de la ca-
thedrale de Sens (1170 environ) ont ete inspires de ces jeunes pousses
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