FABLIAU
356
a comprendrait, au contraire, la colere qu'expriment tous les ecrivains
u du x11" et du X1110 siecle, qui voyaient leurs propres seigneurs, les
u rois memes de leur pays, quitter la patrie, abandonner leurs Etats
u et leur famille, s'exposer a toutes les fatigues, les hasards, les dan-
4( gers, pour la cause d'une religion dont les ministres, heritiers de la
w fortune et des terres des croises, vivaient en France au milieu de
'r l'abondance, du luxe, et souvent de la debquche? Et, de nos jours,
a n'avons-nous pas vu faire bien pis que des contes pour reprimerdes
a abus moins criants que ceux-lai? w Les fabliaux appartiennenta notre
pays. Nulle part en Europe, aux xne et Xllle siecles, on ne faisait de ces
contes, de ces lais, de ces romans, vifs, nets, caustiques, legers dans
la forme, profonds par l'observation du coeur humain. L'Allemagne
ecrivait les Niebelungen, sorte de poeme heroique et sentimental ou les
personnages parlent et agissent en dehors du domaine de la realite.
L'Italie penchait vers la poesie tragique et mystique dont le Dante est
reste la plus complete expression. L'Espagne recitait le Rmnancero,
energique par lapensee, concis dansla forme, ou la raillerie est amere,
envenimee, respirant la vengeance patiente, ou les sentiments les plus
tendres conservent Faprete d'un fruit sauvage. Ce peuple de France, tem-
pere comme son climat, seul au milieu du moyen age tout plein de massa-
ores, de miseres, d'abus, de luttes, conserve sabonnehumeur: il mord
sans blesser, il corrige sans pedantisme; le cothurne tragique provoque
son sourire, la satire amere lui semble triste. Il conte, il raille, mais il
apporte dans le tour leger de ses fables, de ses romans, de ses chan-
sons de geste, cet esprit positif, cette logique inflexible que nous lui
voyons developper dans les arts plastiques : il semble tout effleurer;
mais si legere que soit son empreinte, elle est ineffacable. Pour com-
prendre les arts du moyen fige en France, il faut connaitre les oeuvres
litteraires de nos trouveres des x11": et X1116 siecles, dont Rabelais et la
Fontaine ont ete les derniers descendants. Faire songer en se jouant,
sonder les replis du coeur humain les plus caches et les plus (lelicats
dans une phrase, les devoiler par un geste, en laissant l'esprit deviner
ce qu'on ne dit pas ou ce qu'on ne montre pas, c'est la tout le talent.
de nos vieux auteurs et de nos vieux artistes si mal connus. Quoi de
plus {in que ce prologue du Roman du Renard? En quelques vers l'au-
teur nous montre le tour de son esprit, dispose a se moquer un peu
de tout le monde, avec un fonds d'observation tres-juste et de philo-
sophie pratique.
Dieu chasse Adam et Eve du paradis terrestre.
:Pitiez Femprist, si lor dona
Une verge, si lor montra
Quant il de riens mestier auroient,
De ceste verge en mer ferroieilt.
Adam tint la verge en sa main,
En mer feri devant Evnin.
Sitost con on la mer fcri,