L CONSTRUCTION ] 60 [ PRINCIPES ]
grandeur mesuree que l'on prete a la Divinite ; rien ne peut entraver
son pouvoir. Il batit comme il veut, ou il veut, a la place qu'il choisit,
al'aide des bras qui lui sont aveuglement soumis. Pourquoi irait-il se
creer des difticultes a plaisir? Pourquoi inxfenterziit-il des machines
propres a monter les eaux desrivieres a une grande hauteur, puisqu'il
peut aller chercher leur source dans les montagnes et les amener dans
la ville par une pente naturelle a travers de vastes plaines ? Pourquoi
lutter contre l'ordre regulieif des choses de ce monde, puisque ce
monde, hommes et choses, est a lui ?
L'erreur des premiers temps du moyen age, c'a ete de croire que,
dans l'etat d'anarchie ou la societe etait tombee, on pouvait refaire ce
qu'avaient fait les Romains. Aussi, tant que cette epoque de transition
se traine sur les traces des traditions romaines, quelle impuissance !
quelle pauvrete l Mais bientot surgit l'esprit des societes modernes; a
ce desir vain de faire revivre une civilisation morte succede l'antago-
nisme entre les hommes, la lutte contre la Hlättiäfe. La societe est mor-
celee, l'individu est responsable, toute autorite est contestee, parce
que tous les pouvoirs se neutralisent, se combattent, sont victorieux
tour a tour. On discute, on cherche, on espere. Parmi les debris de
Fantiquite, ce ne sont pas les arts que l'on va exhumer, mais la philoso-
phie, la connaissance des choses. Au xne siecle deja, c'est chez les phi-
losophes grecs que les esprits d'elite vont chercher leurs zirmes. Alors
cette societe, encore si imparfaite, si miserable, est dans le vrai; ses
instincts la servent bien ; elle prend aux restes du passe ce qui peut
Feclairer, la faire marcher en avant. Vainement le clerge lutte contre
ces tendances zmalgre tout le pouvoir dont dispose la feodalite cle-
ricale, elle-meme est entrainee dans le mouvement; elle voit naitre
chaque jour autour d'elle l'esprit d'examen, la discussion, la critique.
D'ailleurs, a cette epoque, tout ce qui tend a abaisser une puissance est
soutenu parune puissance rivale. Le genie national profite habilement
de ces rivalites: il se forme, s'enhardit; materiellement, domine tou-
jours, il se rend moralement independant, il suit son chemin a lui, a
travers les luttes de tous ces pouvoirs trop peu eclaires encore pour
exiger, de la foule intelligente qui s'eleve, autre chose qu'une soumis-
sion materielle. Bien d'autres, avant nous, ont dit, avec plus dautorite,
que l'histoire politique, l'histoire des grands pouvoirs, telle qu'on la
faisait autrefois, ne presente qu'une face etroite de l'histoire des
nations; et d'illustres auteurs ont en effet, de notre temps, montre
qu'on ne peut connaitre la vie des peuples, leurs developpements, les
causes de leurs transformations et de leurs progres, qu'en fouillant
dans leur propre sein. Mais ce qu'on n'a point fait encore, c'est l'his-
toire de ces membres vivaces, actifs, intelligents, etrangers a la poli-
tique, aux guerres, au trafic, qui, vers le milieu du moyen fige, ont pris
une si grande place dans le pays; de ces artistes ou artisans, si l'on
veut, constitues en corporations, obtenant des privileges etendus par
le besoin qu'on avait d'eux et les services qu'ils rendaient ; travaillant