471
CUISINE
Aujourd'hui, nous sommes visiblement loin de ces temps barbares
oü l'on savait satisfaire aux besoins vulgaires de la vie; dans nos cha-
teaux et nos grands etablissements publics, nous placons nos cuisines
au rez-rle-chaussee ou dans des caves, de faeon a repandre dans le
logis l'odeur nauseabonde qui s'echappe de ces officines; ou bien, si
nous les disposons dans des logis separes, les regles de la bonne archi-
tecture veulent qu'elles occupent les communs, dest-a-dire des ailes
presque toujours eloignees du corps de logis principal, si bien qu'il
faut apporter les mets a travers de longs couloirs, dans des barquettes,
et que tout ce qui est servi sur table ne peut conserver qu'une fade
tiedeur entretenue par des rechauds.
Les cuisines sont, pendant le moyen äge, dans les palais ou dans les
monasteres habites par un grand nombre de personnes, une con struc-
tion importante; c'est qu'en effet la cuisine compte bien pour quelque
chose dans la vie de chaque jour. Les exemples que nous venons de
presenler sont de veritables monuments, bien coneus, parfaitement
executes : on voit comme les architectes de ces bätiments ont cherche
a obtenir une circulation d'air tres-active en effet, non-seulement l'air
est necessaire a l'entretien d'aussi grands foyers, mais il contribue
encore a la qualite des aliments exposes a la cuisson. Le sejour dans
de pareilles cuisines ne pouvait etre malsain. Les architectes du xmt siecle
devaientnecessairementperfectionner ces dependances des monasteres
et des chäteaux. Ils eleverent des cuisines a plusieurs etages, ainsi que
nous allons le voir tout a l'heure; ils commencerent a y installer des
fourneaux, des tables chautfees pour dresser les mets avant de les
servir; ils eurent grand soin de disposer les dallages de faeon a pou-
voir les maintenir propres facilement; quelquefois ils trouverent moyen
d'utiliser la fumee de bois pour conserver certaines viandes.
Il existait, dans l'abbaye de Saint-Pere ou Saint-Pierre de Ghartres,
une belle cuisine du xme siecle, qui touchait au refectoire; cette cuisine
etait circulaire et presentait, a Pinterieur, une disposition ingenieuse
qui permettait de fumer une quantite considerable de viandes. Or, soit
pour la consommation interieure du couvent, soit pour vendre, les
moines elevaient des troupeaux de porcs dont ils tiraient un produit
estime des amateurs de lard sale et de jambons fumes. La grande cui-
sine de l'abbaye de Saint-Pierre de Ghartres etait disposee de maniere
a pouvoir fumer une quantite considerable de ces viandes.
La figure 10 presente, en A, le plan du rez-de-chaussec, et en B, le
plan du premier etage de cette cuisine, bätie, comme les precedentes,
sur plan circulaire. La salle renfermait six foyers C, surmontes d'une
voüte formant comme un bas cote avec galerie superieure. La fumee
des foyers passait par les ouvertures D de la voüte, et se repandait
dans la galerie superieure E, dont les murs etaient tapisses de jambons
accroches. Ges deux etages recevaient la lumiere exterieure par les
fenetres G. Apres avoir tourbillonne dans la galerie superieure E, la