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tainement, alors, l'histoire leur rendraitjustice, et. nous cesserions
d'etre les dupes, a notre detriment, d'une mystification qui dure depuis
plus de trois siecles.
L'Europe occidentale peut s'enorgueillir a bon droit d'avoir provoque
le grand mouvement intellectuel de la renaissance, et nous ne sommes
pas de ceux qui regrettent ce retour vers les arts et les connaissances
de Fantiquite paienne. Notre siecle vient apres celui de Montesquieu
et de Voltaire; nous ne renions pas ces grands esprits, nous profitons
de leurs clartes, de leur amour pour la verite, la raison et. lajustice ; ils
ont ouvert la voie a la critique, ils ont etendu le domaine de l'intelli-
gence. Mais que nous enseignent-ils? Serait-ce, par hasard de nous
astreindre a reproduire eternellement leurs idees, de nous conformer
sans examen a leur goüt personnel, de partager leurs erreurs et leurs
prejuges, car ils n'en sont pas plus exempts que d'autres? Ce seraitbien
mal les comprendre. Que nous disent-ils a chaque page? Eclairez-vous,
ne vous arretez pas; laissez de cote les opinions toutes faites, ce sont
presque toujours des prejuges: l'esprit. a ete donne a l'homme pour
examiner, comparer, rassembler, choisir, mais non pour conclure, car
la conclusion est une fin, et bien fou est celui qui pretend dire : a J'ai
clos le livre humain! a Est-ce donc le goüt particulier a tel philosophe
qu'il faut prendre pour modele, ou sa faeon de raisonner, sa methode?
Voltaire n'aime pas le gothique, parce que l'art gothique appartient au
moyen fige dont il sape les derniers etais : cela prouve seulement qu'il
ne sait rien de cet art et qu'il obeit a un prejuge; c'est un malheur pour
lui, ce n'est pas une regle de conduite pour les artistes. Essayons de rai-
sonner comme lui, apportons dans l'etude de notre art son esprit d'ana-
lyse et de critique, son bon sens, sa passion ardente pour ce qu'il croit
juste, si nous pouvons, et nous arriverons a trouver que l'architecture
du moyen fige s'appuie sur des principes nouveaux etfecontls, differents
de ceux des Romains; que ces principes peuvent nous etre plus utiles
aujourd'hui que ne le sont les traditions romaines. Les esprits rares
qui ont acquis en leur temps une grande influence sont comme ces flam-
beaux qui näiclairent que le lieu ou on les place; ils ne peuvent faire
apprecier nettement que ce qui les entoure. Est-ce a dire qu'il n'y ait au
monde que les objets sur lesquels ils ont jete leurs clartes? Placez-les
dans un autre milieu, ils jetteront sur d'autres objets la meme lumiere.
Mais nous sommes ainsi faits en France : nous regardons les objets
eclaires sans nous soucier du flambeau, sans le transporter jamais ail-
leurs pour nous aider de sa lumiere afin de tout examiner. Nous prefe-
rons nous en tenir aux jugements prononces par des intelligences d'elite
plutot que de nous servir de leur facon d'examiner les faits, pour juger
nous-meules. Cela est plus commode, en verite. Nous admirons leur
hardiesse, Petendue de leurs vues; mais nous n'oserions titre hardis
comme eux, chercher avoir plus loin qu'eux ou autre chose que ce qu'ils
ont voulu ou pu voir.
Mais nous voici bien loin de nos maitres des ceuvres du moyen age.