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nus diminuer chaque jour; si, au contraire, il etait äpre au. gain, ce
qui arrivait souvent, il tranchait les difticultes par la violence, ce qui
lui etait facile, puisqu'il reunissait sous sa main le droit fiscal et les
droits de justicier. Pour vivre et se maintenir dans une pareille situa-
tion sociale, le seigneur etait amene a se defier de tout et de tous;
a peine s'il pouvait compter sur le devouement de ceux quilui devaient
le service militaire. Pour acquerir ce devouement, il lui fallait tolerer
des abus sans nombre de ses vassaux nobles, qui lui pretaient le
secours de leurs armes, les attirer et les entretenir pros de lui par
Fappat d'un accroissement de biens, par l'espoir d'un empietement
sur les terres de ses voisins. Il n'avait meme pas de valets a ses gages,
car, de meme que ses revenus lui etaient payes en grande partie en
nature, le service journalier de son chateau etait fait par des hommes
de sa terre qui lui devaient, l'un le balayage, l'autre le curage des
egouts, ceux-ci l'entretien de ses ecuries, ceux-la l'apport de son bois
de chauffage, la cuisson de son pain, la coupe de son foin, Felagage (le
ses haies, etc. Retire dans son donjon avec sa famille et quelques
compagnons, la plupart ses parents moins riches que lui, il ne pouvait
etre certain que ses hommes (larmes, dont le service etait temporaire,
seduits par les promesses de quelque voisin, n'ouvriraient pas les
portes de son chateau a une troupe ennemie. Cette etrange existence
de la noblesse feodale justifie ce systeme de detiantze dont ses habita-
tions ont conserve l'empreinte; et si aujourd" hui cette organisation
sociale nous semble absurde et odieuse, il faut convenir cependant
qu'elle etait faite pour developper la force morale des individus,
aguerrir les populations, qu'elle etait peut-etre la seule voie qui ne
conduisit pas de la barbarie a la corruption la plus honteuse, Soyons
donc justes, ne jetons pas la pierre a ces demeures renversees par la
haine populaire aussi bien que par la puissance monarchique; voyons-y
au contraire le berceau de notre energie nationale, de ces instincts
guerriers, de ce mepris du danger qui ont assure Findependance et la
grandeur de notre pays.
On concoit que cet etat social dut etre accepte par les Normands
lorsqu'ils se fixerent sur le sol francais. Et, en effet, depuis Hollon,
chaque seigneur normand s'etait präte aux. coutumes des populations
au milieu desquelles il s'etait etabli; car, pour y vivre, il netait pas
de son interet de depeupler son domaine. Il estacroire qu'il ne chan-
gea rien aux tenures des fiefs dont Il jouit par droit de conquete, car
des le commencement du XIP siecle nous voyons le seigneur normand,
en temps de paiX, entoure d'un petit nombre de familiers, habitant
la salle, le donjon fortifie; en temps de guerre, lorsqu'il craint une
agression, appeler autour de lui les tenanciers nobles et meme les
vavasseurs, lzdtesl et paysans. Alors la vaste enceinte fortifiee qui entou-
1 Les vavasseurs et les hätes citaient des hommes libres r les premiers tenant des terres par
droit häräditaire et palant une rente au seigneur; les seconds possädant un tänement peu im-