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dire sur le cour des irruptions normandes et dans le voisinage de leurs
possessions, ont un caractere particulier, uniforme, qu'on ne retrouve
pas, ala meme epoque, dans les provinces du centre de la France,
dans le midi et en Bourgogne.
Il n'est pas besoin, nous le pensons, de faire ressortir la superiorite
del'esprit guerrier des Normands, pendant les (lerniers temps de la
periode carlovingienne, sur l'esprit des descendants des chefs francs
etablis sur le sol gallo-romain. Ces derniers, comme nous l'avons dit
plus haut, etaient d'ailleurs disperses, isoles, et n'avaient aucun de
ces sentiments de nationalite que les Normands possedaient a un haut
degre. La feodalite prit des caracteres (lifferents sur le sol francais,
suivant qu'elle fut plus ou moins melangee de l'esprit normand, et
cette observation, si elle etait developpee par un historien, projetterait
la lumiere sur certaines parties de l'histoire politique du moyen äge
qui paraissent obscures et inexplicables. Ainsi, c'est peut-etre a cet
esprit antinational d'une partie de la feodalite francaise, qui avait pu
resister a l'influence normande, que nous devons de n'etre pas devenus
Anglais au xv" siecle. Ce n'est point la un paradoxe, comme on pour-
rait le croire au premier abord. Si tout le sol francais avait ete im-
pregne de l'esprit national normand, comme la Normandie, le Maine,
1'Anjou, le Poitou, la Saintonge etla Guyenne, au XVe siecle, la conquete
anglaise etait assuree atout jamais. C'est a l'esprit individuel et nulle-
ment national des seigneurs feodaux de la Bretagne, qui etait toujours
restee opposee a l'influence normandel, et du centre de la France,
seconde par le sentiment patriotique du peuple gallo-romain, que
nous devons d'etre Francais; car, a cette epoque encore, l'invasion
anglaise n'etait pas consideree, sur une bonne partie du territoire de
la France, comme une invasion etrangere.
Si nous nous sommes permis cette digression, ce n'est pas que nous
ayons la pretention d'entrer dans le domaine de l'historien, mais c'est
que nous avons besoin dkätablir certaines classifications, une methode,
pour faire comprendre a nos lecteurs ce qu'est le chateau feodal pen-
dant le moyen äge, pour faire ressortir son importance, ses transfor-
mations et ses varietes, les causes de sa grandeur et de sa decadence.
Voila pourles caracteresgeneraux politiques, dirons-nous, de la demeure
feodale primitive. Ses caracteres particuliers tiennent aux moeurs et
a la vie privee de ses habitants. Or, qu'on se figure ce que devait etre
la vie du seigneur feodal pendant les x19 et X110 siecles en France l c'est-
a-dire pendant la periode de developpement de la feodalite. Le seigneur
normand est sans cesse occupe des affaires de sa nation; la conquete
de l'Angleterre, les luttes nationales sur le continent, ou il n'etait
admis qu'a regret, lui conservent un 1'616 politique qui l'occupe, lui
1 En Angleterre rnäme, les Gallois, qui sont de mäme race que les Bretons enc re
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alljüllfddllll ne se regardent pas comme Anglais; pour eux, les Anglais sont toujours
des Saxons ou des Normands.