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une quantite innombrable de colonnes, car aucune architecture ne
prodigua autant ce genre de support que l'architecture des Romains.
Nos premiers constructeurs romans employerent ces fragments comme
ils purent; ils trouvaient iras-simple, lorsqu'ils elevaient. un edifice,
d'aller chercher, parmi les monuments antiques, des futs de colonnes
et de les dresser dans leurs nouvelles constructions, sans tenir compte
de leur grosseur ou de leurs proportions, plutot que de tailler a grand"-
peine, dans les carrieres, des pierres de grande dimension et. de les
amener a pied d'oeuvre. Il resulta de cette reunion de colonnes ou
meme de fragments de colonnes de toutes dimensions et proportions,
dans un meme editice souvent, un oubli complet de methodes qui
avaient ete suivies par les Romains dans la composition des ordres de
l'architecture. Les yeux shabituerent a ne plus etablir ces rapports
entre les diametres et les hauteurs des colonnes, a ne plus eprouver
le besoin de l'observation des regles suivies par les anciens. Cet oubli
barbare, resultant de la perte des traditions et de moyens de construc-
tion tres-incomplets, du defaut d'ouvriers capables, fit faire aux archi-
tectes des premiers temps du moyen ägc les plus singulieres bevues.
Pour eux, les colonnes antiques, souvent taillees dans des matieres
precieuses, furent un objet de luxe, une sorte de depouille dont ils
chercheront a parer leurs grossiers edifices, sans se preoccuper sou-
vent de la fonction vcritable de la colonne. D'ailleurs, s'ils etaient
hors d'etat de tailler un cylindre dans un bloc de pierre, a plus forte
raison ne pouvaient-ils sculpter des chapiteaux et des bases; il arriva
qu'ils placerent tantot une colonne sur le sol sans base, tantot un cha-
piteau antique sur une colonne dont le diametre ne correspondait pas
avec celui du füt. Trop inexperimentes pour oser combiner un sys-
teme de construction reposant sur des points d'appui greles, ils pla-
cerent les colonnes qu'ils arrachaient aux debris des monuments
antiques dans des angles rentrants, ou les accolerent a des piliers
massifs, comme une decoration plutot que comme un support.
Lorsque l'architecture romane se developpa et essaya de substituer
aux traditions abatardies de l'architecture antique un art nouveau,
tantot elle se servit de la colonne comme l'avait fait les Romains, c'est-
a-dire comme d'un point d'appui monolithe, grele, isole, tantot connue
d'une pile cylindrique, epaisse, composee d'assises, destinee a porter
une charge tries-lourde. Il est certain que la colonne isolee est em-
ployee par les architectes romans tout autrement qu'elle ne le fut chez
les Romains. Les Romains, si ce n'est dans les derniers temps du Bas-
Empire et dans l'architecture dite byzantine, n'employerent generale-
ment les colonnes qu'en les surmontant de Fentablement, dest-a-dire
qu'ils demployerent que les ordres complets; s'il est des exceptions a
cette regle, elles sont rares. Vitruve, dans sa description de la basilique
qu'il bätit a Fano, parle d'un grand ordre portant des poitraux et des
piles isolees sans entablement. Si les colonnes pouvaient se passer de
leur entablement, detait lorsqu'elles portaient des arcs. Cependant