CHATEAU
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savoir ce qu'il aurait fait pour occuper l'ambition des grands vassaux
de la couronne, et comment il s'y serait pris pour etouffer cette puis-
sance qui pouvait encore se croire rivale de la royjaute naissante. Le
court rogne de Louis VIII fut encore rempli par la guerre; mais pen-
dant la minorite de Louis IX, une coalition des grands vassaux faillit
detruire Pmuvre de Philippe-zäuguste. Des circonstances heureuses, la
division qui se mit parmi les eoalises, Phabilete de la mere du roi,
sauverent la couronne; les luttes cesserent, et le pouvoir royal sembla
de nouveau ralfermi.
Un (les cotes du caraetere de saint Louis qu'on ne saurait trop
admirer, c'est la parfaite connaissance du temps et des hommes au
milieu desquels il vivait; avec un esprit de beaucoup en avance sur
son siecle, il comprit que la paix etait pour la royaute un dissolvant
en face de la feotlztlile ambitieuse, habituee aux armes, toujours
meconlente lorsqu'elle ifaxfziit plus desperances d'accroissement. Les
reformes qu'il meditait netaient pas encore assez enracinees au milieu
des populations pour opposer un obstacle a l'esprit des seigneurs; il
fallait faire sortir de leurs nids ces voisins dangereux qui entouraient
le troue, user leur puissance, entamer leurs richesses. Pour obtenir ce
rcsullat, lc roi de France avait-il alors a sa disposition un autre moyen
que les croisades? Nous avons peine a croire qu'un prince d'un esprit
aussi droit, aussi juste et aussi eclaire que saint Louis, n'ait eu en vue,
lorsqu'il entreprit sa premiere expedition en Orient, qu'un but pure-
ment personnel. Il ne pouvait ignorer qu'en abandonnant ses domaines
pour reconquerir la terre sainte, dans un temps ou l'esprit (les croisades
n'etait rien moins que populaire, il allait laisser en souffrance les grandes
reformes qu'il avait entreprises, et que devant Dieu il etait responsable
des maux que son absence volontaire pouvait causer parmi son peuple.
Le royaume en paix, les membres de la feodalite entraient en lutte les
uns contre les autres : c'etait la guerre civile permanente, le retour vers
la barbarie; vouloir s'opposer par la force aux pretentions des grands
vassaux, c'el,ait. provoquer de nouvelles coalitions contre la couronne;
entrainer ces puissances rivales loin de la France, (fetait pourla monar-
chie, au X1118 siecle, le seul moyen d'entamer profondement la feodalite
et de reduire ces forteresses inexpugnables assises jusque sur les mar-
ches du tronc. Si saint Louis n'avait etc entoure que de vassaux de la
trempe du sire de Joinville, il est douteux qu'il eüt entrepris ses croi-
sades; mais l'ascendant moral qu'il avait acquis, ses tentatives de gou-
vernement monarchique n'eussent pu rompre peut-etre le faisceau
feodal, s'il n'avait pas occupe et ruine en mil-me temps la noblesse par
ces expeditions lointaines. Saint. Louis avait pour lui lexperience ac-
quise par ses predecesseurs, et chaque croisade, quelle que fut sonissue,
avait etc, pendant les x10 et xne siecles, une cause de declin pour la feoda-
lite, un moyen pour le suzerain d'etenclre le pouvoir monarchique.
Quel moment saint Louis ehoisitdl pour son expedition? C'est apres
avoir vaincu la coalition armee, a la tete de laquelle se trouvait le