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prenaientinstinctivementla neeessite de cette tutelle sans laquelle tout
fut retombe dans le chaos. Par le fait, au x1' siecle, il n'y avait que deux
ordres en Europe, l'ordre militaire et l'ordre religieux; et comme, dans ce
monde, les forces morales finissent toujours par l'emporter surla force
materielle lorsqu'elle est divisee, les monasteres devaient acquerir plus
d'influence et derichesses que les (zhateziux; ils avaient pour eux l'opinion
des peuples qui, a l'ombre des couvents, se livraient a leur industrie, cul-
tivaientleurs champs avec plus de securite que sous les murs des forte-
resses feodales; qui trouvaient un soulagement a leurs souifraiiees mo-
rales et physiques dans ces grands etablissements ou tout etait si bien
ordonne, ou la priere et la charite ne faisaient jamais dcfailt; lieu d'asile
pour les aines malades, pour les grands repentirs, pour les esperances de-
cues, pour le travail et la meditation, pourles plaies incurables du coeur,
pour la faiblesse et la pauvrete, dans un temps oü la premiere condition
de l'existence mondaine etait une taille elevee, un bras pesant, des epaules
capables de porter la cette d'armes. Un siecle plus tard, Pierre le Vene-
rable, dans une repense a saint Bernard, explique mieux que nous ne
saurions le faire les causes de la richesse de Clunv. u Tout le monde sait,
dit-il, de quelle maniere les maitres seculiers traitent leurs serfs et leurs
serviteurs. lls ne se contentent pasdu service usuel qui leur est du; mais
ils revendiquent sans misericorde les biens et les personnes, les personnes
et les biens. De n, outre les cens accoutumes, ils les surchargent de ser-
vices innombrables, de charges insupportables et graves, trois ou quatre
fois par an, et toutes les fois qu'ils le veulent. Aussi voit-on les gens de la
campagne abandonner le sol et fuir en d'autres lieux. biais, chose plus
affreuse! ne vont-ils pas jusquii vendre pour de l'argent les hommes que
Dieu a rachetes au prix de son sang? Les moines, au contraire, quand ils
ont des possessions, agissent bien d'autre sorte. lls n'exigent des colons
que les choses dues et legitimes; ils ne reclament leurs services que pour
les necessites de leur existence; ils ne les tourmentent d'aucune exac-
tion, ils ne leur imposent rien (l'insupportable; s'ils les voient neecssi-
tcux, ils les nourrissent de leur propre substance. lls ne les traitent pas
en esclaves, en serviteurs, mais en freres... Et voila pourquoi les moines
sont proprietziires a aussi bon titre, a meilleur titre rnenie que les lai-
ques. n ll faut donc voir dans l'immense importance de Cluny, au Xle
5190113, un mouvement national, un commencement d'ordre et de raison,
apres les dereglements et le pillage. Saint Hugues, en eilet, participe a
toutes les grandes affaires de son sieele, comme le feront plus tard Fabbe
Suger et saint Bernard lui-meme. Saint Hugues n'est pas seulement oe-
eupe de, reformer des inouasteres et de les soumettre a la regle de Clunyg
de veiller 51 ce que l'abbaye mere croisse en grandeur et en richesses, a
ce que ses privileges soient maintenus, il est mele a tous les evenements
importants de son siecle; les rois et les princes le prennent pour arbitre
de leurs dilTerends. Alphonse V1, FOi de CEISÜÜG, qui professait pour lui la
plus vive amitie, le charge de fonder deux monasteres clunisiens en Es-