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populations indigenes. Au Vie siecle, saint Benoit donna sa regle; du
mont Cassin elle se repandit bientot dans tout l'0ccident avec une rapi-
dite prodigieuse, et devint la seule pratiquee pendant plusieurs siecles.
Pour qu'une institution ait cette force et cette duree, il faut qu'elle re-
ponde a un besoin general. En cela, et consideree seulement au point de
vue philosophique, la regle de saint Benoit est peut-etre le plus grand fait
historique du moyen äge. Nous qui vivonssous des gouvernements regu-
liers, au milieu d'une societe policee, nous nous representons difficile-
ment Yeffroyable desordre de ces temps qui suivirent la chute de l'empire
romain en Occident : partout des ruines, des deehirements incessants, le
triomphe de la force brutale, l'oubli de tout sentiment de droit, de justice,
le mepris de la dignite humaine; des terres en friches sillonnees de bandes
alfamees; des villes devastees, des populations entieres chassees, massa-
erees; la peste, la famine; et a travers ce chaos d'une soeiete a lfagonie,
des inondations de barbares revenant periodiquement dans les Gaules,
comme les flots de l'0ccan sur des plages de sable. Les moines descendus du
mont Cassin, en se repandant en Germanie, dans les Gaules, etjusqu'aux
limites septentrionales de l'Europe, entrainent avec eux une multitude
de travailleurs, (lefriehent les forets, retablissent les cours d'eau, elevent
des monasteres, des usines, autour desquels les populations des campagnes
viennent se grouper, trouvantdans ces centres une protection morale plus
efficace que celle aeeordee par des envahisseurs ruses et cupides. Ces nou-
veaux apotres ne songent pas seulement aux besoins materiels qui doivent
assurer leur existence et celles de leurs nombreux colons, mais ils culti-
vent et enseignent leslettres,les sciences et les arts ; ils fortifient les ames,
leur donnent l'exemple de Fabnegation, leur apprennent a aimer et a
proteger les faibles, a secourirles pauvres, a expier les fautes, a pratiquer
les vertus chretiennes, a respecter leurs semblables. Ce sonteux qui jettent
au milieu des peuples avilis les premiers germes de liberte, dlindepen-
dance, qui leur donnent l'exemple de la resistanee morale ä. la force bru-
tale, et qui leur ouvrent, comme dernier refuge contre les maux de lame
et du corps, un asile de priere inviolable et sacre. Aussi voyons-nous, des
le 1x8 siecle, les etablissements monastiques arrives deja aun grand deve-
loppement : non-seulement ils comprennent les edifices du culte, les loge-
ments des religieux, les bätiments destines aux approvisionnements, mais
aussi des dependances considerables, des iniirmeries pour les vieillards,
des ecoles, des cloitres pour les novices, pour les etrangers; des locaux
separes pour divers corps d'etats, des jardins, etc.,etc. Le plan de l'ab-
baye de Saint-Grill, execute vers Vannee 820, et que possedcnt encore les
archives de ce monastere supprime, est un projet envoye par un dessil
nateur aFabbe Gozbert. Mabillon pense que ce dessin est dü a Pabbe
Eginhard, qui dirigeait les constructions de la cour sous Charlemagne;
quel que soit son auteur, il est d'un grand interct, car il donne le pro-
gramme d'une abbaye a cette epoque, et la lettre a Pabbe Gozbert, qui
accompagne le plan, ne peut laisser de doutes sur Yautorite du person-