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TACTIQ UE
DES
ARMEES
FRANQAISI
services; elles etaient plus embarrassantes qifutiles, en retardant la
marche de la cavalerie, principale force des armees d'alors.
Mais, pour se rendre un compte exact de la tactique des armees
de la grande epoque feodale, il est neeessaire de connaitre les con-
ditions de formation de ces armees. Juger la tactique militaire du
XIIE sieele en prenant pour type, soit la tactique romaine, soit la
tactique moderne, c'est tomber gratuitement dans la plus etrange
confusion; car, si la strategie ne se modilie que d'une maniere
relative dans le cours des siecles, il n'en est pas ainsi de la tac-
tique, qui ehange en raison de la composition des troupes, de leur
armement et des milieux. Nous l'avons eprouve reeemment, et la
tactique des armees frangaises en Jllgerie ne peut etre et n'est pas
la meme que celle tpfil faut adopter en face des grandes armees
continentales.
Dire que les armees feodales etaient depourvties de toute tactique,
c'est pretendre a peu pres qu'un pays n'a pas de litterature, parce
que vous n'en comprenez pas le langage. La feodalite possedait la
seule tactique qui pftt etre appropriee a son organisation Inilitaire
et aux armes dont elle se servait. Et il faudrait etre depourvu de
sens pour ne pas admettre, par exemple, que si l'invention de l'ar-
tillerie a du apporter dans la tactique les modifications les plus
profondes, ce n'est pas une raison pour que les armees, avant cette
epoque, fussent depourvues de celle qui convenait a leur organisa-
tion et a leur armement.
Cette organisation, nul ne l'ignore, dependait du regime feo-
dal meme. Celui qui tenait un fief devait le service militaire attache
a ce fief, a la demande du suzerain, et dans des conditions detinies,
soit comme temps, soit. comme objet. Les barons arrivaient donc au
rendez-vous assigne, avec leurs chevaliers et leurs hommes liges a
pied ou a cheval. Les communes devaient egalement fournir des
hommes d'armes et des pie-tons, commandes par des capitaines. S'il
s'agissait d'une grande entreprise commandee par le roi, il est evi-
dent que ces troupes, arrivant de toutes parts, celles-ci du Poitou,
celles-la de Picardie ou de Champagne, de Bourgogne ou d'Au-
Vergne, ne pouvaient avoir l'unite d'organisation des armees ro-
maines ou de celles de nos jours. Elles differaient par l'armement,
les habitudes, et meme le langage. Vouloir les fondre en quelques
jours eüt ete une entreprise impossible et meme dangereuse en
bien des cas. Il fallait donc, tout en les faisant concourir vers un
but, leur laisser une certaine independance, soit dans les mouve-
ments, soit dans la maniere de camper, d'agir et de combattre.