484
devouement de la femme comme le prix de la bravoure et de la
loyaute. La lachete, la faiblesse de coeur lui sont odieuses, et les
poetes (qui evidemment ne faisaient que suivre l'opinion dominante au
milieu de la societe qu'ils se chargeaient de distraire et de charmer
par leurs recits) vont bien loin, a cet egard, dans leurs ecrits. Temoin
le conte de Beranger :
Un chevalier ruine, en proie aux usuriers, ne sachant plus de quel
bois faire fleche, se decide a donner sa lille au [ils d'un vilain riche
auquel il a emprunte de grosses sommes. La demoiselle se resigne,
bien qu'a regret. Le pere arme de sa main son gendre chevalier,
afin de n'avoir pas a rougir de l'alliance a laquelle il a pousse sa
iille. Le nouveau chevalier se croit un heros, meprise ses anciens
compagnons, ne cesse de se vanter et de parler a tout propos de
tournois et de faits de guerre, croyant ainsi en imposer a sa femme.
Celle-ci n'est point dupe de ces rodomontades et attend l'occasion
de voir a l'oeuvre son epoux. Le nouveau chevalier ne trouve rien
de mieux, un matin, pour prouver sa bravoure, que de s'en aller
seul dans un bois. La il attache son ecu a une branche d'arbre et
frappe dessus avec son epee a coups redoubles. Il rompt sa lance ;
puis il retourne chez lui en annoncent qu'il vient de combattre une
troupe de gens armes. La femme, qui voit le cheval frais, sans une
egratignure, son epoux sans blessure aucune, concoit des soupcons,
et, a quelques jours de la, son seigneur sortant arme pour aller,
dit-il, combattre de nouveau les coureurs de chemins, elle s'arme
aussi, monte a cheval, suit le chevalier, et arrive pres de lui au mo-
ment ou celui-ci se dispose a recommencer lejeu de l'eau tranche.
Elle le deüe alors; mais le quidam n'entend point se battre, et
passe par toutes les humiliations que lui impose le nouveau venu,
qu'il ne reconnait point sous le harnais et qui lui dit se nommer
Beranger.
Que fait la dame i? Elle se rend chez un chevalier qui l'aimait et dont
elle avait repousse jusqu'alors les services; elle Pemmene chez elle en
croupe, le fait monter dans sa chambre, et quand Fepoux revient,
encore dispose a se vanter, maigre la mauvaise issue de son aventure,
elle embrasse devant lui son amant. Le pauvre mari veut menacer:
a Taisez-vous, dit la dame, vous n'etes qu'un lache; et si vous souf-
u flez mot, je fais ici venir Beranger : vous savez comme il traite les
a couards. a
Le vilain ennobli ne souffla-t-il mot.
Ce conte, parmi bien d'autres, montre assez que la societe d'alors
consiclerait la lachete, le mensonge et la forfanterie comme les der-