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VIE
PBIVEE
DE
LA
NOBLESSE
FEODALIZ.
(t Que dirai-je de tous les meubles et provisions? A l'entour ne
(t laillaient grands bois pleins de cerfs, daims et sangliers. Outre
(l plus avait des faucons neblis, que les Francais appellent gentils,
c: pour voler le long de la riviere,et tres-bons heronniers. Ce vieux
(t chevalier avait a femme la plus belle dan1e qui liit lors en France,
cc laquelle venait du plus grand lignage de Normandie, fille du sei-
a gneur de Bellengties, et etait fort louable en toutes perfections
(t appartenant a si noble dame, de grand sens, et entendue a gou-
ct verner sa maison mieux que dame quelconque du pays, et riche
a a l'avenant. Elle avait sa maison seigneuriale a part de celle de
m M. l'amiral, entre lesquelles deux etait un pont-levis. Or les deux
maisons etaient comprises dans une meme enceinte. Les meubles
(t et pourveances (Ficelles etaient tant et de si rare facon, que le
m compte en serait long. La se tenaient jusques a dix damoiselles de
a parage, bien etoffees et habillees, lesquelles n'avaient dlautre soin
(t que de leurs corps et de garder leur dame tant seulement. Enten-
(t dcz qu'il y avait force filles de chambre. Je vous eonterai llordre
a et la regle que madame observait. Se levait le matin avec ses de-
s moiselles, et allait dans un bois la pres, chacun son livre d'heures
a en main et son chapelet, et sasseyaient a part et disaient leurs
u prieres, sans mot souffler tant que priaient; apres cueillaient vio-
(t lettes et lleurettes, ainsi s'en retournaient au chateau, en la cha-
u pelle, et entendaient basse messe. Sortant de la chapelle, on leur
tt apportait un bassin d'argent auquel etaient poules et alouettes et
a autres oiseaux relis ; lors mangeaient ou laissaient a leur volonte,
a et on leur donnait le vin. Rarement madame mangeait, elle, le
m matin, ou peu de chose pour faire plaisir a ceux qui la etaient.
m Aussitot madame chevauchait ensemble ses demoiselles toutes sur
a haquenees, les meilleures et les mieux harnachees qui se pussent
t( voir, et avec elles les chevaliers et gentilshommes qui_se trouvaient
cc la, et allaient s'abattre aux champs faisant chapels de verdure. La
a aussi entendre chanter lais, virelais, rondes, complaintes, ballades
a et chansons de tout art que savent les trotwetres de France, en voix
a diverses et bien accordees. La venaitle capitaine Pero Nino avec ses
a gentilshommes, pour qui se faisaient toutes ces fetes, et semblable-
(c ment s'en retournaient au chateau a l'heure de diner; descen-
(r daient de cheval et entraient dans la salle a manger oü trouvaient
a les tables dressees. Le vieux chevalier, ne pouvant plus chevau-
a cher, les attendait et les accueillait si gracieusement que c'etait
a merveille, car il etait chevalier tres-gracietlx, bien que dolent en
m son corps. A table s'asseyaient l'amiral, madame et Pero Niüo, et